samedi 25 mars 2023

The Beast in Me

 

ce n'est pas la version originale écrite par Nick Lowe, mais Mark Lanegan aurait pu l'écrire...
 
The Beast in Me


The beast in me
Is caged by frail and fragile bars
Restless by day and by night
Rants and rages at the stars
God help the beast in me

The beast in me
Has had to learn to live with pain
And how to shelter from the rain
And in the twinkling of an eye
Might have to be restrained
God help the beast in me

Sometimes it tries to kid me
That it's just a teddy bear
Or even somehow manage
To vanish in the air
Then that is when I must beware

Of the beast in me
That everybody knows
They've seen him out dressed in my clothes
Patently unclear
If it's New York or New Year
God help the beast in me
The beast in me

lundi 20 mars 2023

Vivre, c’est perdre

Le deuil est comme une mort anticipée, comme un échec d’autant plus douloureux qu’il n’est pas, qu’il ne peut être le dernier. Etre en deuil, c’est être en souffrance, comme douleur et comme attente : le deuil est une souffrance qui attend sa conclusion, et c’est pourquoi toute vie est deuil, toujours, puisque toute vie est douleur, comme disait le Bouddha, et quête de repos... Le deuil marque donc l’échec du narcissisme (“sa majesté le moi” perd son trône : le moi est nu) et, par là, l’entrée dans la vraie vie.(...)

“Nous ne savons renoncer à rien” disait Freud : c’est pourquoi le deuil est souffrance et travail. Il y a souffrance non à chaque fois qu’il y a manque, mais à chaque fois que le manque n’est pas accepté. Le monde nous dit non et nous disons non à ce refus. Cette négation de la négation, loin d’aboutir à je ne sais quelle positivité, nous enferme dans la douleur. Nous sommes malheureux parce que nous souffrons, et nous souffrons encore plus d’être malheureux 

(...) 

Le travail de deuil est ce processus psychique par quoi la réalité l’emporte, et il faut qu’elle l’emporte, nous apprenant à vivre malgré tout, à jouir malgré tout, à aimer malgré tout

(...)

La vie l’emporte, la joie l’emporte, et c’est ce qui distingue le deuil de la mélancolie : dans un cas, le sujet accepte le verdict du réel - “l’objet n’existe plus” - et apprend à aimer ailleurs, à désirer ailleurs. Dans l’autre, il s’identifie avec cela même qu’il a perdu ( il y a si longtemps, et il était si petit!), et s’enferme vivant dans le néant qui le hante.”Si je meurs, se lamente-t-il avec Nerval, c’est que tout va mourir... Abîme ! Abîme ! Abîme ! Le dieu manque à l’autel où je suis la victime... “ Incapable de faire son deuil, le mélancolique reste prisonnier du narcissisme et de la carence inévitable de son objet. 

Mais qui échappe au narcissisme ? qui échappe au deuil ? 

C’est en quoi le mélancolique nous en apprend long sur nous-mêmes, et plus que bien des optimistes de doctrine ou de tempérament 

(...) 

Dans plusieurs de ses plaintes contre lui-même, observe Freud, le mélancolique “nous semble avoir raison, et ne faire que saisir la vérité avec plus d’acuité que d’autres personnes qui ne sont pas mélancoliques. Lorsque,dans son autocritique exacerbée, il se décrit comme mesquin, égoïste, insincère, incapable d’indépendance, comme un homme dont tous les efforts ne tendaient qu’à cacher les faiblesses de sa nature, il pourrait bien, selon nous, s’être passablement approché de la connaissance de soi, et la seule question que nous nous posions, c’est de savoir pourquoi l’on doit commencer par tomber malade pour avoir accès à une telle vérité. Le mélancolique est malade de la vérité, quand beaucoup de normausés moyens, comme dit un de mes amis psychiatres, ne vivent que de sa dénégation. C’est que la vérité est pour lui une blessure narcissique, comme elle est presque toujours, et on ne peut en sortir que par l’illusion (la santé ?) ou la fin du narcissisme (la sagesse). 

Le mélancolique est incapable de l’une et de l’autre. Il ne sait ni se duper ni se déprendre: incapable de faire son deuil de soi, il ne cesse de souffrir sa propre mort de son vivant et le monde entier en est comme vidé ou éteint (...) La solution serait de “tuer le mort”, c’est à dire puisqu’il s’agit de soi, de s’accepter mortel,et de vivre. Mais le mélancolique est inapte au deuil, et c’est en quoi il est notre frère à tous : “nous ne savons renoncer à rien” et du fond de sa souffrance indique le chemin : deuil ou mélancolie. (...) c’est seulement une fois qu’on a fait son deuil de soi que l’on peut cesser, sans dénégation ni divertissement, de penser toujours au néant.

(...) 

“Nous ne savons renoncer à rien, nous ne savons qu’échanger une chose contre une autre”: c’est donner le remède en même temps que le diagnostic. Il ne s’agit pas de ne plus aimer, ni d’aimer moins, mais d’aimer autre chose, et mieux : le monde plutôt que soi, les vivants plutôt que les morts, ce qui a eu lieu plutôt que ce qui fait défaut... C’est le seul salut : tout le reste nous enferme dans l’angoisse ou l’horreur. Car tout est éternel, certes (cet être qui n’est plus, et tout ce que nous avons vécu ensemble : éternellement cela restera vrai) mais rien n’est définitif que la mort. Aussi faut-il aimer en pure perte, toujours, et cette très pure perte de l’amour, c’est le deuil lui-même et l’unique victoire. Vouloir garder c’est déjà perdre ; la mort ne nous prendra que ce que nous avons voulu posséder.

(...) 

J’écris cela en tremblant, me sachant incapable d’une telle sagesse, mais convaincu pourtant (ou à cause de cela) qu’il n’y en a pas d’autre, si tant est qu’il y en ait une (...) Courage, les survivants !


André Comte - Sponville, aka "Dédé-la-branlette"

“ Vivre c’est perdre ” in “Deuils”, numéro spécial de la revue Autrement




dimanche 19 mars 2023

Bouddhisme et dépression

 Par Sherlock, mardi 30 janvier 2007 à 08:13 - Entomologie humaine

 Récemment le Lévrier était préoccupé par un sujet dont je vais maladroitement tenter de parler. C'est le fait que ce qui amène les gens au bouddhisme, ce n'est pas la joie qu'on y perçoit. D'ailleurs si l'on faisait un sondage pour demander aux bouddhistes la façon dont ils perçoivent le bouddhisme, à mon avis, on retrouverait plus souvent sérénité et austérité que joie ou béatitude. En conséquence de quoi ce qui a attiré les gens vers le bouddhisme, c'est plus probablement cette austérité perçue que la perspective de la grande béatitude simultanée. Certes, il y a le désir d'être heureux, mais en passant par des études austères, difficiles... comme si la joie pouvait être le résultat de 10 ou 20 années passées à la Trappe, avec l'esprit sinistre qui lui correspond. D'après le Lévrier, le problème vient de ce qu'il y a chez les occidentaux une espèce de base culturelle de culpabilité et de détestation de soi qui n'existe pas chez les orientaux (et que je ne perçois pas en effet chez mon traiteur chinois). Les chinois et les tibétains, eux, ils savent ce qu'ils veulent : gagner plein de pognon, réussir dans la vie, être admirés et ça, pour eux, c'est BIEN. Donc, quand on leur dit que ça n'est pas bien, mais que c'est futile, et qu'il faut s'en détourner, cela ne fait que produire un sain rééquilibrage. Maintenant, prenez un français moyen qui pense qu'il est un nullos, qu'il est coupable de la dépression de sa vieille mère, que la vie de toutes manières ne l'intéresse pas parce que c'est de la merde, et que lui même c'est de la merde aussi, et dites-lui de se détourner de cela. Le résultat sera la dépression. Ce type n'a déjà aucune vitalité à la base, le bouddhisme ne fera que lui enlever le peu qui lui reste. D'où cette atmosphère sinistre des centres bouddhistes. Nous sommes les bénéficiaires de tout ce joyeux héritage judéo-chrétien comme quoi la vie doit être difficile, qu'il faut se punir parce que par définition nous sommes mauvais, et ainsi de suite.

Je n'exagère pas. Cette discussion était partie d'une phrase du dalai-lama, comme quoi il avait mis très longtemps à comprendre que les occidentaux se détestaient, et dans quel état cette détestation de soi les plongeait. Car ça ne lui serait même pas venu à l'esprit que ça pouvait exister. Ce qui explique aussi que Chepa se marre quand quelqu'un lui dit "je ne m'aime pas". Il répond rigolant "mais si, tu t'aimes, tu joues du piano, tu manges bien"... Il ne s'agit pas de cela évidemment. Un tibétain n'a pas d'arrière-pensée. Quand il mange bien, en effet, c'est qu'il s'aime. Tout va bien pour lui. Un français, quand il mange bien, pour commencer on lui a dit au catéchisme que le plaisir était illicite et qu'il fallait vivre une existence austère. Donc déjà, il se sent coupable. Il n'est pas en train de gagner sa vie à la sueur de son front. Il n'est pas à l'hôpital en train d'aider les mourants. En plus il pense à tous les enfants qui meurent de faim dans le monde. Et quand il essaie de prendre l'air content de lui, on voit que c'est complètement faux. Les plaisirs de la vie n'ont jamais été permis pour lui. Alors si en plus on lui dit qu'ils sont illusoires, il va déprimer, et la dépression n'est pas du tout un état correct pour pratiquer. Donc sa pratique ne donnera pas de résultat, et il va déprimer encore plus et ainsi de suite. Alors que le tibétain, lui, il pratique sur une vitalité. La pratique ne fait que détourner son énergie vers des buts plus nobles que l'accumulation d'argent. Mais quand on n'a déjà plus d'énergie parce que rien ne vaut la peine ? Sur quoi va-t-on pratiquer ? Sur le néant ? Sur le désir de se punir ?

Bien sûr, tout le monde n'est pas comme ça, il y a des gens qui ont une vie sympa (dans leur perception) et qui en sont contents. Mais le problème, c'est que ceux qui sont attirés par le bouddhisme sont principalement les dépressifs, les coupables, ceux qui pensent que la vie ne vaut rien et qu'eux-mêmes ne valent rien, ceux qui veulent aller s'enterrer dans le froid et la neige. Ils vont vers le bouddhisme car ils pensent que le bouddhisme dit la même chose qu'eux, qu'en effet la vie et eux-mêmes ne valent rien. Mais la réalité c'est que le bouddhisme dit cela à des gens qui ont une haute estime d'eux-mêmes. Un jour, un grand lama disait à un traducteur :"Cessez de vous sous-estimer, et de croire que vous ne valez rien !". Il avait perçu cette tendance, assez marquée chez cette personne au demeurant.

Le problème, c'est maintenant d'arriver à gérer l'orgueil bien réel qui résulte du sentiment de sa propre nullité, car plus une personne se trouve nulle, plus en général est aura développé de l'orgueil par-dessus pour arriver à survivre. Et que faire aussi de cette énorme tendance à la distraction qui est la fuite de tout cela ? Un chinois qui travaille 14h par jour dans son magasin fera un bon pratiquant si on arrive à le détourner de son compte en banque. Mais un gars qui passe 14h par jour devant un jeu video ?

L'esprit occidental est vraiment compliqué. 

(...) Bref, le dépressif chronique (au moins 90% du public des sanghas), manquant d'identifier la Joie comme élément fondamental de la pratique, est capable de tout foirer en s'imaginant réussir. Donc, la conclusion de cela, c'est de dire que si ce qui vous a amené au bouddhisme, c'est le dégoût de la vie, la culpabilité, et l'auto-punition, il y a quelque chose à réviser d'urgence. Il qu'il ne s'agit pas simplement de devenir "content", car tout le monde prétend être content tout en étant extrêmement mécontent, mais d'identifier le mécanisme qui interdit d'être heureux. Mécanisme qui s'apparente à un coffre-fort de la Banque de France (avec la Joie à l'intérieur). "

Changements et continuités


« Sur une tablette d’argile babylonienne, dont l’âge est estimé à plus de 3 000 ans, on trouve les phrases suivantes : « La jeunesse d’aujourd’hui est pourrie jusqu’au tréfonds, mauvaise, irréligieuse et paresseuse. Elle ne sera jamais comme la jeunesse du passé et sera incapable de préserver notre civilisation. »

Watzlawick, Paul. « Changements »

vendredi 17 mars 2023

mécanique des fluides

Il n’est pas suffisant d’éviter simplement de se sentir découragé face à l’épreuve. Quand survient le malheur, le Samouraï doit s’en réjouir et saisir la chance qui lui est ainsi offerte de mettre à profit son énergie et son courage. Une telle attitude diffère radicalement de la simple résignation. Quand les flots montent, le bateau s’élève…


***

La dignité d’un être se mesure à l’impression extérieure qu’il donne. Il y a de la dignité dans l’effort et l’assiduité dans la sérénité et la discrétion. Il y a de la dignité dans l’observation des règles de conduite et dans la droiture. Il y a aussi de la dignité à serrer les dents et à garder les yeux ouverts : toutes ces attitudes sont visibles de l’extérieur. Ce qui est capital, c’est d’agir toujours avec dignité et sincérité.

« HAGAKURE » LE LIVRE SECRET DES SAMOURAIS
par Jocho Yamamoto (1659-1719)

lundi 13 mars 2023

Prière de St-François

Version diffusée par les  A.A. dans les années 90 :


"Seigneur, fais de moi un instrument de Ta paix;
là où se trouve la haine, que j'apporte l'amour;
là où se trouve l'offense, que j'apporte l'esprit de pardon;
là où se trouve la discorde, que j'apporte l'harmonie;
là où se trouve l'erreur, que j'apporte la vérité;
là où se trouve le doute, que j'apporte la foi;
là où se trouve l'obscurité, que j'apporte la lumière;
là où se trouve la tristesse, que j'apporte la joie.
Seigneur, fais que je cherche à consoler plutôt qu'à être consolé;
à comprendre plutôt qu'à être compris;
à aimer plutôt qu'à être aimé.
Car c'est en s'oubliant que l'on trouve.
C'est en pardonnant qu'on reçoit le pardon.
C'est en mourant qu'on s'éveille à la Vie éternelle."


Le savais-tu ?

La prière de saint François est une prière chrétienne pour la paix, communément mais erronément attribuée à François d'Assise, qui apparaît pour la première fois en 1912.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pri%C3%A8re_de_saint_Fran%C3%A7ois

Elle fait toujours son petit effet, quand on cherche un truc malin à dire la veille d'un enterrement où l'on fera mieux de fermer sa gueule si on tient à tout prix à s'y rendre utile.

vendredi 10 mars 2023

Le Sermon Aux Serpents

« Qu’est-ce donc que toute notre existence, lança le père Damien, répétant son sermon du haut de la chaire neuve, sinon le son d’un effroyable amour ? »
Les serpents glissèrent silencieusement entre les pieds des bancs vides.
« Quelle est la question que nous passons nos vies entières à poser ? Notre question est la suivante : Sommes-nous aimés ? Je ne veux pas dire les uns par les autres. Sommes-nous aimés par Celui qui nous a créés ? Nous cherchons sans cesse des preuves. Dans les dons que l’on nous fait – enfant, beau temps, argent, un bon mariage peut-être – nous trouvons des assurances. Par opposition, nos souffrances, nos maladies, la mort de ceux que nous aimons, notre pauvreté, nos malheurs innocents – ceux-là nous les prenons comme des signes que Dieu s’est détourné de nous. Mais, mes amis, qu’est-ce donc exactement que l’amour, ici ? Comment le définir ? L’amour de Dieu a-t-il le moindre rapport avec le manque ou l’excès de chance à l’œuvre dans nos vies ? Ou, qui sait, l’amour de Dieu est-il quelque chose de très différent de ce que nous croyons connaître ?
« L’amour divin peut être si vaste qu’il ne peut nous voir.
« Ou il peut être si infiniment petit qu’il agit à un niveau où il nous dirige ainsi qu’une substance inconnue immergée dans notre sang.
« Ou il peut être transparent, un écran invisible, un filtre au travers duquel nous voyons et entendons tout ce qui est créé.
« Oh mes amis…»
Les serpents dressèrent leurs têtes lisses comme des balles, dardèrent la langue pour capter les vibrations des sons que l’être produisait quelque part devant eux.

« Je suis comme vous, déclara le père Damien aux serpents, curieux et petit. » Il laissa retomber ses bras. « Comme vous je me tiens immobile, aux aguets, et j’ouvre mes sens pour essayer de déchiffrer l’air, les nuages, l’inclinaison du soleil, les petits mouvements des animaux, tout cela dans l’espoir d’apprendre le secret de l’amour que l’on me porte ou non. »
Les serpents s’enroulèrent et se déroulèrent, se tordirent par-dessus et par-dessous.

« Si je suis aimé, poursuivit le père Damien, c’est d’un amour exigeant et sans pitié contre lequel je suis sans défense. Si je ne suis pas aimé, alors je suis impitoyablement manipulé par une force à laquelle je ne peux pas davantage résister, et c’est donc du pareil au même. Je dois faire ce que je dois faire. Allez en paix. »
Il leva les mains, bénit les serpents, puis s’allongea de tout son long sur un banc et dormit là toute la fin de l’après-midi.

  Louise Erdrich "Dernier rapport sur les miracles à Little No Horse" 





jeudi 9 mars 2023

Brûlons la chandelle par les deux bouts

Oui, le mieux, dans un contexte anxiogène, c’est de ne faire aucune concession à la prudence, à la modération, à la tempérance. Puisque le Titanic sombre sans espoir, réclamons à l’orchestre de jouer encore plus fort.
Lorsque, au sommet de l’État, on invite à la sobriété, la meilleure réponse reste donc de brûler la chandelle par les deux bouts.
Dès la salle de maternité, quand vous venez à peine de pousser votre premier vagissement, quand vous êtes encore tout sanguinolent, avant même la première tétée, réclamez une coupe de champagne. Du meilleur. Millésimé. Idéalement, de l’extra-brut. (Choisissez un champagne à fines bulles. Vérifiez que l’équilibre entre acidité et sucrosité soit impeccable.)

Proposez à la sage-femme de trinquer avec vous. Par exemple, dites-lui : « Martine, soyez assez gentille pour reporter les premiers soins que vous aviez l’intention de me prodiguer. Jouissons ensemble de ce moment de joie auquel correspond ma venue sur Terre. La pesée, les mensurations, la coupe du cordon ombilical peuvent attendre, ne croyez-vous pas, Martine ? » N’hésitez pas à faire preuve de reconnaissance vis-à-vis de cette première personne qui aura permis votre passage de l’ombre utérine à la lumière de la vie extérieure. « Allons Martine, je vous en prie, faites-moi l’honneur de participer à cette petite cérémonie improvisée, asseyez-vous et buvons ensemble ! » (Il ne faut naturellement prénommer la sage-femme Martine qu’à la condition que la sage-femme se prénomme effectivement Martine. Il vous appartient d’adapter ces conseils à chaque situation particulière. Si la sage-femme se prénomme Amina, Janine, Marcel, appelez-la par conséquent Amina, Janine, Marcel.) Après une bonne série de décennies (huit, neuf, au-delà si vous en avez la force), n’hésitez pas à faire preuve de la même vitalité si c’est possible, en tous cas de la même convivialité, de la même chaleur, de la même audace, sur votre lit de mort.

Si, déjà, on a placé des bougies autour de votre lit pour favoriser le recueillement de ceux qui viendront vous rendre une dernière visite, profitez de la flamme vacillante pour allumer un dernier cigare. Au cas où vous posséderiez une belle boîte de Montecristo, de Cohiba ou de Bolivar, c’est l’occasion de lui faire un sort. Proposez-en tout autour de vous : au prêtre qui vient vous donner les derniers sacrements, au médecin qui vient avec un peu d’avance s’assurer de votre décès, aux proches, aux amis, à la famille... Pensez également à déboucher une dernière bouteille de champagne.
Il serait délicat, si elle vit toujours, d’inviter Martine (ou Amina, Janine, Marcel) pour cet ultime moment de partage. Ce sera l’occasion de faire des comparaisons bienvenues : « Ah ! tiens, il est encore meilleur que la dernière fois... », l’opportunité pour Martine (Amina, Janine, Marcel) de faire les dernières vérifications nécessaires : « Au fait, est-ce que j’avais bien coupé le cordon ? »


Chronique de François Morel : CONSEIL N° 24
dans Philosophie Magazine de décembre 2022

mercredi 8 mars 2023

Spike Jones : None But The Lonely Heart

 


"No, John.
It's best that we part, John.
You have another wife, and I have another husband, and he has another wife, and she has another husband.
It isn't the simplest sort of arrangement.
It isn't.
No, after all our years of wedded bliss, it's auf wiedersehen, John.
We must think of the child.
After all, we do have a child, and he has a child, and the child has another wife, and she has another husband, and he has a child, and that child, John, is our child.
I must go away somewhere and figure this thing out.
Auf wiedersehen, John, auf wiedersehen.
But, Mary dear, I know you have another husband, and that he has another wife, and that she has another husband, and that our own child, through marriage, is now my uncle and your sisters father on your grandmother's side, but can't we talk this over ?
There is still time, our divorce doesn't become final for another five minutes.
We'll talk it over some other day, John, but not today.
Why not, dear?
Today I am to be married.
Bonsoir, John.
Prosit.
Auf wiedersehen.
Au revoir.
Adios.
Aloha
How do you like that?
She didn't even say 'goodbye' !"

Spike Jones : None But The Lonely Heart 

***

Unkle Wiki says :

Spike Jones a clairement été influencé par les Hoosier Hot Shots et les Marx Brothers.
Il a quant à lui influencé Stan Freberg, Gerard Hoffnung, Peter Schickele's P. D. Q. Bach, The Goons, les Beatles, Frank Zappa, George Maciunas, The Bonzo Dog Doo-Dah Band, The Mystic Knights of the Oingo Boingo, et The Roto Rooter Goodtime Christmas Band. Jones est mentionné dans la chanson de the Band Up on Cripple Creek. L'écrivain Thomas Pynchon est un de ses admirateurs et a écrit le livret d'une compilation des titres les plus extravagants de Spike Jones (intitulé Spiked !) paru en 1994 (BMG Catalyst). 
Le réalisateur Spike Jonze a quant à lui choisi son pseudonyme en référence à Spike Jones.

lundi 6 mars 2023

d'autres pièces


vu à l’entrée de l’expo Vivian Maier
(on est obligé de passer dessous pour pénétrer dans l’expo)
en novembre 2021
(on san fou)

dimanche 5 mars 2023

Vers la 5D

- Je trouve l’IRL (In Real Life => le réel) bien plus enrichissant que le virtuel. Même avec mes connasses dépressives alcooliques.

- C'est le point clé de notre incompréhension finalement.
En fait tu confonds le virtuel avec l'imaginaire (ou l'imaginal, disons).
En effet, le virtuel (jeux videos, mais même les films, en somme un pseudo-réel sur écran ou même en 3D qui se donne à voir et à entendre, et bientôt à sentir) constitue un appauvrissement dramatique de l'IRL.
Mais imagine maintenant une réalité dont l'IRL constitue un appauvrissement dramatique ?

Nous avons donc :

2D : monde virtuel
3D : IRL
4D : monde imaginal
5D : monde intelligible

Tu ne peux évidemment imaginer ni 4D ni 5D, mais tu peux intellectuellement les concevoir, en reportant la différence entre 3D et 2D. Sauf qu'il va te manquer l'aspect qualitatif et surtout l'aspect jouissif.

Quand tu t'étonnes que je ne voie pas les gens IRL, c'est comme si je m'étonnais que tu préfères tes réunions AA à des jeux vidéos. Voire à du tetris. Comparé au monde intelligible, une réunion avec des gens, genre AA ou repas entre potes, c'est du tetris. Si pendant la réunion je peux mettre mon mp3 et fermer les yeux, déjà ça va mieux, mais dans ce cas, autant ne pas y aller non ? Pour le moment je ne suis pas capable de superposer le monde intelligible et les réunions. Quand je vais me promener avec L**, je lui demande de parler le moins possible (ce qui n'est vraiment pas facile), et maintenant je mets mon mp3 à demi, sinon ma promenade est foutue.

Je sais que ce que je dis est totalement incompréhensible, et d'ailleurs c'est incompréhensible à tout le monde, parce que personne ne connaît ça, sauf quelques très rares personnes. Il en a d'ailleurs résulté une attaque générale contre moi dans le stage "soufisme et yoga" où j'étais allée il y a 2 ans. Les gens n'avaient aucun intérêt pour moi et ils l'ont bien senti. On m'a dit que j'étais asociale, que je n'avais pas d'amis, etc, je leur ai répondu que j'avais des relations infiniment plus enrichissantes que ce qu'ils considéraient comme de l'amitié, et ils étaient totalement furieux. Mais c'était la stricte réalité. Relis Thérèse d'Avila et sa relation à Jésus. Celle que j'ai avec mes êtres intérieurs n'en est pas à ce point, mais c'est à mi-chemin à peu près.

Ensuite, il se trouve qu'il est possible de projeter ce type de relation à travers l'écrit (avec le visuel et la parlotte c'est bien plus difficile, disons que c'est un autre niveau de pratique), et il se trouve aussi qu'il y a des personnes sur qui cela a un effet bien réel. C'est pour cette raison qu'il y a des ermites qui refusaient de voir les gens, tout en écrivant beaucoup. Si tu pouvais projeter une telle chose sur ta femme (pour ne donner qu'un exemple), même de façon intermittente, votre vie en serait complètement changée. Ce n'est pas ignorer les gens, c'est les considérer au niveau de leur âme, et non pas au niveau de leur être matériel. S'ils y sont sensibles, ça fait de l'effet. Sinon, non.

Depuis le temps qu'on se connaît, tu devrais me connaître... je crois avoir répété des dizaines de fois que j'ai eu un grand nombre d'amis intimes, au moins une vingtaine, un type d'amitié que la plupart des gens ne connaissent pas une seule fois dans leur vie (des gens à qui tu téléphones presque tous les jours ou que tu vois presque tous les jours pendant une période quand même assez longue, parfois c'était 4h au téléphone). Quand je dis que ce n'est rien comparé à ce que j'ai maintenant, je sais de quoi je parle. Je peux également dire que si les amitiés d'enfance laissent de meilleurs souvenirs, c'est parce qu'il s'y mêle une part de projection imaginale, une faculté qui se perd à l'âge adulte.

F. (circa 2015)


samedi 4 mars 2023

photocopieuse

"- On fait un boulot bizarre, quand même. Tu trouves pas ?
- Je veux pas jouer aux devinettes, tu dis ton truc ou tu te tais...Ch'uis fatigué...
- J'dis juste qu'on fait un boulot bizarre. On interroge les gens, on fouille dans leurs affaires, on écoute leurs conversations. Et on écrit des rapports. Des rapports, des rapports...
- C'est ça...
- On combat le mal en rédigeant des rapports.
- Nan, on combat rien du tout. On n'a pas une piste solide, pas une preuve, et on n'est même pas foutus d'avoir une photocopieuse qui marche.
- Ben c'est le combat du bien contre le mal, mais avec une  photocopieuse qui marche pas.

                              Bouli Lanners et Bastien Bouillon, "La nuit du 12", vers 00:57:47:

vendredi 3 mars 2023

la loi de Moore

Dans Jérusalem, un démon explique la vie à un jeune bambin récemment décédé :

« Seule la vie existe, en fait. La mort est une illusion de perspective qui afflige la troisième dimension. Ce n’est que dans le monde mortel à trois côtés qu’on considère le temps comme quelque chose qui passe et disparaît derrière toi dans le néant. Tu penses au temps comme à quelque chose qui sera un jour dépassé, fini. Mais vu depuis un plan supérieur, le temps n’est rien de plus qu’une autre distance, de même que la hauteur, la largeur ou la profondeur. Tout dans l’univers de l’espace et du temps se produit en même temps, tout arrive en un glorieux super-instant avec l’aube des temps d’un côté et la fin des temps de l’autre. Toutes les minutes dans l’intervalle, y compris celles qui marquent les décennies de ta durée de vie, sont suspendues dans la grande bulle immuable de l’existence pour l’éternité.

« Imagine ta vie comme un livre, une chose solide dont la dernière ligne est déjà écrite depuis que tu l’as ouvert à la première page. Ta conscience progresse tout au long du récit depuis le début jusqu’à la fin, et tu es de plus en plus absorbé dans l’illusion des événements qui se déroulent et du temps qui passe à mesure que ces choses sont vécues par les personnages du drame. En réalité, toutefois, tous les mots qui composent le texte sont fixés sur la page, et les pages reliées dans leur ordre immuable. Rien dans le livre ne change ni ne se développe. Rien dans le livre ne bouge à part l’esprit du lecteur qui se déplace de chapitre en chapitre. Quand l’histoire est finie et que le livre est refermé, il ne prend pas feu aussitôt. Les personnages de l’histoire et leurs revers de fortune ne disparaissent pas sans laisser de trace comme s’ils n’avaient pas été écrits. Toutes les phrases qui les décrivent sont encore là dans le volume solide et inchangé, et tu as tout loisir de relire l’ouvrage aussi souvent que ça te plaît.

« Il en va de même pour la vie. Ma foi, chaque seconde de vie est un paragraphe que tu reliras un nombre incalculable de fois et dans lequel tu trouveras de nouvelles significations, même si la formulation reste la même. Chaque épisode demeure inchangé à sa place fixe dans le texte, et chaque moment dure donc éternellement. Des moments de béatitude extrême et des moments de profond désarroi, suspendus dans l’ambre infini du temps, tout le paradis ou l’enfer dont le premier prédicateur venu peut rêver. Chaque jour et chaque acte est éternel, petit. Vis-les de façon à pouvoir vivre avec eux éternellement. »

Alan Moore, "Jerusalem"






jeudi 2 mars 2023

une petite amie cambodgienne

« — Vous avez l’air juif, m’a-t-elle dit.
— Il paraît. Mais je veux que vous sachiez que je ne le suis pas.
— OK. Votre livre sur Greaves est incroyable.

C’est elle qui était incroyable. Elle était tous les personnages afro-américains positifs qu’on voit à la télé réunis en un seul, des personnages créés pour combattre les stéréotypes noirs négatifs qu’on voit tous les jours aux infos. Elle s’exprimait bien, elle était instruite, athlétique, belle, charmante, extrêmement sophistiquée. Et je me disais que j’avais une chance avec elle. Ça ferait un bien fou à mon amour-propre, ainsi qu’à ma position dans la communauté universitaire. Je lui ai proposé de prendre un café. Non que je la visse comme un accessoire ou une chose à posséder ou une ligne de plus dans mon CV. Bon, tout ça jouait bien sûr, mais je ne voulais pas l’admettre. Je me suis promis de travailler sur ces réflexions désagréables, de les chasser. Je savais qu’elles étaient honteuses. Et je savais qu’elles ne résumaient pas ma pensée. J’allais donc les garder secrètes et me concentrer plutôt sur l’attraction sincère que je ressentais pour cette femme. La nouveauté de son afro-américanité finirait par diminuer, et je savais qu’il n’y aurait plus qu’un pur amour pour elle, une femme de n’importe quelle couleur, d’aucune couleur : une femme claire. Même si je comprenais que mes sentiments à l’égard des femmes n’étaient pas purs en général. Le charme était un facteur déterminant, ce qui est mal. Et bien sûr les caractéristiques exotiques raciales, culturelles ou nationales m’attiraient. Je serais aussi excité d’exhiber une petite amie cambodgienne ou maorie ou française ou islandaise ou mexicaine ou inuit qu’une petite amie afro-américaine. Presque. C’était là quelque chose que je devais m’efforcer de mieux comprendre à mon sujet. Je devais combattre mes instincts à chaque instant. »

Extrait de : Kaufman, Charlie. « Antkind » Éditions du sous-sol.

mercredi 1 mars 2023

enfer de dupes

Dans le dernier paragraphe du chapitre 29 (« Destinée et fatalité dans le Siam moderne ») du volume 3 de sa magistrale Thai Culture Explained, le professeur Beckendorf se montre presque thaï, à la façon dont il verse sans crier gare dans la métaphysique :

« Alors que l'Occidental moyen fait tout ce qu'il peut pour diriger et maîtriser sa destinée, le Thaï d'aujourd'hui n'est pas plus près d'adopter cette attitude face à la vie que ne l'étaient ses ancêtres il y a un siècle ou deux. S'il est un aspect de la psychologie du Thaï moderne qui continue de refléter une acceptation totale de la doctrine bouddhiste du karma (si proche du fatalisme islamique souvent traduit par l'expression "c'est écrit"), c'est bien la conviction que que serà serà.
Au premier abord, un tel fatalisme peut sembler arriéré, voire pervers, compte tenu de l'étonnant arsenal dont disposent maintenant les Occidentaux contre les vicissitudes de la vie. Mais quiconque passe beaucoup de temps dans ce royaume ne tarde pas à remettre en question la sagesse et même la sincérité des attitudes occidentales. Lorsqu'il a payé la pension alimentaire de son ex-femme, acheté la maison et la voiture que sa position sociale l'oblige à acquérir conformément aux règles de sa tribu, renoncé à l'alcool, au tabac, à la drogue et aux aventures extra-conjugales, consacré ses deux semaines de vacances à quelque randonnée extrême (sans danger véritable) pour tremper son caractère, appris à faire très attention à ce qu'il dit et fait en présence des membres du sexe opposé, l'Occidental moyen peut se demander, et il le fait souvent, où sa vie l'a mené. Il peut aussi, et c'est le cas invariablement, se sentir floué quand il s'aperçoit existentiellement que toutes ces précautions, toutes ces assurances ne le protègent nullement de l'incendie, des cambriolages, des inondations, des tremblements de terre, des tornades, des risques de licenciement et du terrorisme, ne l'empêchent pas de voir son épouse déserter le domicile conjugal précipitamment avec les enfants, la voiture et toutes les économies du ménage.
Dans un pays sans filets de sécurité comme la Thaïlande, on risque certes d'être terrassé brutalement par un accident ou une maladie, alors qu'un Occidental se sera acquis une certaine protection, mais entre les cahots un Thaï continue de vivre sa vie dans un état de sublime insouciance.
L'Occidental fait généralement observer que le Thaï vit dans un paradis de dupes.
Peut-être, mais le Thaï n'est-il pas fondé à rétorquer que l'Occidental s'est construit un enfer de dupes ? »
John Burdett. « Bangkok 8. »