Les serpents glissèrent silencieusement entre les pieds des bancs vides.
« Quelle est la question que nous passons nos vies entières à poser ? Notre question est la suivante : Sommes-nous aimés ? Je ne veux pas dire les uns par les autres. Sommes-nous aimés par Celui qui nous a créés ? Nous cherchons sans cesse des preuves. Dans les dons que l’on nous fait – enfant, beau temps, argent, un bon mariage peut-être – nous trouvons des assurances. Par opposition, nos souffrances, nos maladies, la mort de ceux que nous aimons, notre pauvreté, nos malheurs innocents – ceux-là nous les prenons comme des signes que Dieu s’est détourné de nous. Mais, mes amis, qu’est-ce donc exactement que l’amour, ici ? Comment le définir ? L’amour de Dieu a-t-il le moindre rapport avec le manque ou l’excès de chance à l’œuvre dans nos vies ? Ou, qui sait, l’amour de Dieu est-il quelque chose de très différent de ce que nous croyons connaître ?
« L’amour divin peut être si vaste qu’il ne peut nous voir.
« Ou il peut être si infiniment petit qu’il agit à un niveau où il nous dirige ainsi qu’une substance inconnue immergée dans notre sang.
« Ou il peut être transparent, un écran invisible, un filtre au travers duquel nous voyons et entendons tout ce qui est créé.
« Oh mes amis…»
Les serpents dressèrent leurs têtes lisses comme des balles, dardèrent la langue pour capter les vibrations des sons que l’être produisait quelque part devant eux.
« Je suis comme vous, déclara le père Damien aux serpents, curieux et petit. » Il laissa retomber ses bras. « Comme vous je me tiens immobile, aux aguets, et j’ouvre mes sens pour essayer de déchiffrer l’air, les nuages, l’inclinaison du soleil, les petits mouvements des animaux, tout cela dans l’espoir d’apprendre le secret de l’amour que l’on me porte ou non. »
Les serpents s’enroulèrent et se déroulèrent, se tordirent par-dessus et par-dessous.
« Si je suis aimé, poursuivit le père Damien, c’est d’un amour exigeant et sans pitié contre lequel je suis sans défense. Si je ne suis pas aimé, alors je suis impitoyablement manipulé par une force à laquelle je ne peux pas davantage résister, et c’est donc du pareil au même. Je dois faire ce que je dois faire. Allez en paix. »
Il leva les mains, bénit les serpents, puis s’allongea de tout son long sur un banc et dormit là toute la fin de l’après-midi.
Il leva les mains, bénit les serpents, puis s’allongea de tout son long sur un banc et dormit là toute la fin de l’après-midi.
Louise Erdrich "Dernier rapport sur les miracles à Little No Horse"
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