Extrait de "Le Déluge", de Stephen Markley.
dimanche 20 juillet 2025
Jancovici peut aller se rhabiller
« Ils prirent deux jours de congé pour Noël, que Tony passa à dorloter sa petite-fille en pensant aux dominos mortels. Le satellite CryoSat-2 qui mesurait l’épaisseur de la glace polaire transmettait des chiffres affolants ; les modélisations concernant l’Amazonie étaient extrêmement alarmantes et prévoyaient que le poumon de la terre ne serait plus qu’un désert calciné d’ici 2050 ; le Centre for Arctic Gas Hydrate découvrait que de nombreuses émanations de méthane atteignaient désormais la surface des mers ; le permafrost commençait à libérer ses 1 800 milliards de tonnes de carbone en Sibérie, dans le nord du Canada et en Alaska. Ainsi que Tony le martelait depuis vingt ans, les boucles de rétroaction prévues par la théorie des dominos mortels avaient probablement débuté le jour où la planète avait atteint les 365 ppm. À la vitesse où allaient les choses, le taux de carbone dans l’atmosphère grimperait sûrement jusqu’à 685 ppm, et même si la tendance s’inversait et que les émissions cessaient au niveau mondial (un authentique miracle), l’essentiel de la glace terrestre finirait par fondre. Le niveau des mers s’élèverait de soixante-dix mètres. La terre était partie pour connaître une hausse de quatre, cinq, voire six degrés. Il était humainement impossible d’imaginer à quoi ressemblerait alors la planète, et pourtant cela pourrait se produire du vivant de sa petite-fille. Les derniers représentants de la génération à laquelle il appartenait allaient s’éteindre en regardant se déployer le chaos qu’ils avaient ajouté à l’existant. Holly, Catherine et leurs semblables verraient la civilisation entamer une désintégration violente comprenant une dissolution de l’ordre social, des famines de masse, des épidémies et des conflits armés pour l’eau et les terres cultivables. La génération d’Hannah Gail Yu assisterait ensuite à des épisodes climatiques sans précédent. Été après été, la planète se réchaufferait si vite que des États et des régions entiers seraient engloutis par des incendies et des tempêtes de sable, tandis que des torrents d’eau apportés par de gigantesques typhons et microrafales descendantes s’abattraient sur les côtes, détruisant et noyant les principales métropoles. Les populations se trouveraient en proie à des phénomènes inédits dans l’histoire humaine. Plusieurs fois par an, aussi longtemps qu’elle réussirait à survivre, Hannah verrait ces monstruosités biosphériques frapper et massacrer aveuglément. La production de nourriture diminuerait car toute agriculture serait devenue pratiquement impossible, et le réseau trophique se décomposerait à mesure que l’extinction de masse emporterait une espèce après l’autre. Hannah ne serait jamais présidente, danseuse étoile, neuroscientifique ou influenceuse. Comme presque toute sa génération, elle deviendrait une charognarde, probablement cannibale à l’occasion. Sa vie serait dure et violente. Et la génération suivante – à laquelle auraient dû appartenir les arrière-petits-enfants de Tony – serait vraisemblablement la dernière de l’espèce humaine, car la surface de la terre serait devenue trop chaude pour abriter la vie. »
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