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mardi 5 novembre 2024

corps solides

« Ainsi, il n’y a pas de corps solides. Les choses ne sont pas vraiment des choses, ce sont des processus, en devenir. Elles sont semblables au feu, à la flamme qui, même si elle emprunte une certaine forme, est un processus, un courant de matière, un fleuve. Toutes choses sont des flammes : le feu est le matériau même du monde, et la stabilité apparente des choses tient simplement aux lois, aux mesures auxquelles sont soumis les processus. […] Comment se fait-il qu’une chose puisse changer sans perdre son identité ? Si elle demeure la même, elle ne change pas ; et si elle perd son identité, ce n’est plus cette chose-là qui subit le changement.

Karl POPPER, Conjectures et réfutations. Retour aux présocratiques, 1963 »

Extrait de : Marc Lachièze-Rey. « Voyager dans le temps. » Éditions du Seuil, 2013-10-01.

samedi 2 novembre 2024

Charlie Martel

Malek Boutih, dans le Charlie Hebdo du 11 mars :

« Il ne faut pas oublier une chose : le point de départ de l’intégrisme islamiste, ce ne sont pas les théories des Frères musulmans, mais l’arrivée de la parabole dans les pays arabes. C’est quand, tout d’un coup, la modernité, le sexe, la liberté, tout fait irruption. Et les intégristes se sont sentis débordés.
- La démocratie propose une image que théoriquement ils refusent mais qu’instinctivement ils désirent ?
- Exactement. Le fait de pouvoir avoir cette image mais de ne pas la consommer en même temps, ça rend fou. Et c’est le cœur de tout.»


"Je suis Charlie Martel."
Jean-Marie Le Pen, après l'attentat de 2015

vendredi 27 septembre 2024

à propos des superhéros

« L’idée qu’une personne va sauver les gens du chaos parce que la communauté n’est pas capable de s’occuper d’elle, c’est la définition du fascisme ! »

Michel Gondry, à propos des superhéros, dans le documentaire : Do It Yourself !”

dimanche 11 août 2024

bon pour la planète


« Qu’est-ce qu’il y a de mal à trafiquer l’héroïne ? La blanche est expédiée en Europe ou en Amérique. Imagine un narcissique, un nombriliste qui, sans elle, aurait provoqué une pollution inimaginable en se rendant tous les jours à son travail, probablement seul dans sa voiture, pour y consommer de l’électricité dans un bureau surchauffé… Grâce à nous, il reste chez lui dans les vapes et se fait virer de son boulot. Son travail est sous-traité au Bangladesh, où quelqu’un l’accomplit pour le cinquième de son salaire et, avec ça, nourrit une famille de sept personnes. En plus, ce gars-là va à son bureau à bicyclette – c’est bon pour la planète. »


John Burdett. « Le parrain de Katmandou. » Presses de la Cité

jeudi 11 juillet 2024

addiction à la pensée & lutte contre l’anéantissement

(..) Ces objections nous amènent à poser la question d’une réflexion nouvelle à propos du narcissisme et de prendre le risque de re-fonder quelque peu ce concept. Ce qui serait nécessaire, selon nous, consisterait à reprendre une réflexion à partir de ce que l’on sait actuellement du cerveau comme regroupement organisé, systémique, d’un ensemble de dizaines de milliards de neurones. Nous proposons de partir de là, bien entendu, avec le postulat matérialiste et réaliste sous-jacent que « le cerveau sécrète la pensée, comme le foie sécrète la bile » ; il est l’organe noble qui réalise les opérations de computation nécessaires pour nous dispenser les diverses fonctions cérébrales qui nous font des vivants et des humains qui perçoivent, mémorisent, se représentent le monde, imaginent, rêvent, réfléchissent, inventent, communiquent ; qui agissent de façon rationnelle, ou bien suivant des motivations inconscientes. C’est notre cerveau qui réalise aussi tout un ensemble d’opérations de traitement des informations, des niveaux conscients aux niveaux les plus inconscients. C’est enfin le cerveau qui produit le résultat sans doute le plus intriguant et le plus remarquable de tout ce travail : la conscience. Ce sentiment de conscience, conformément au cogito cartésien, est le tuf sur lequel prend place « l’amour porté à l’image de soi », le narcissisme. La question de la conscience, de son utilité, de sa pertinence, a été maintes fois débattue par les philosophes. Tantôt elle est le noyau primordial de toute vie psychique, tantôt elle est considérée comme un épiphénomène relativement superflu, la plupart de nos comportements et fonctionnements ne nécessitant aucune conscience, celle-ci n’apparaissant que dans un incessant et immédiat après-coup. Par contre, s’il est une fonction qui nécessite par principe la conscience, c’est bien le narcissisme qui dans sa définition même de «conscience de soi» (avant de devenir amour de soi) exige le préalable de la conscience. Il faut donc s’imaginer ces milliards de cellules, les neurones, qui tous ensemble, parviennent à réaliser ce champ psychique d’une conscience. Or, en tant que construction collective, le maintien tout au long de la vie éveillée de cette conscience unifiée ne doit pas être une tâche facile. Nous proposons là l’hypothèse de l’effort pour la constance de la conscience, ce qui signifie que la conscience n’est jamais, pour notre cerveau en tant que système cérébral, une donnée immédiate, naturelle, spontanée, comme « allant de soi », oserions-nous dire. Elle nécessite de la part de l’amas de neurones un travail constant de confirmation permanente de son existence en tant qu’unité.

Le modèle bouddhiste, au point de vue de son travail de discrimination psychologique, explique de façon très claire le développement et la nature du moi, de la conscience, ou « ego ». Au départ (il ne s’agit pas d’une chronologie réelle, mais d’un modèle de pensée présenté suivant une métaphore chronologique), on parle d’un «vide». Ce concept a été très mal traduit et très peu compris des occidentaux. Ils y voient généralement ce vide relatif, qui se distingue d’un plein, comme on dirait «cette bouteille est vide », ou « le vide de l’espace intergalactique ». Il ne s’agit pas du tout de cela dans la pensée bouddhiste. Ce « vide » concerne l’absence de préconceptions, un état « innocent » de la pensée, quelque chose qui doit se rapprocher au mieux de la pensée ouverte d’un très jeune enfant lorsqu’il est surpris et émerveillé dans la rencontre avec quelque chose de nouveau. Ce « vide » sera beaucoup mieux compris si l’on considère qu’il est tout ce qui reste de ténu dans une conscience simple une fois qu’on lui a retiré tous les développements qui vont suivre. Car à partir de ce « vide », comme (autre métaphore) la surface lisse d’une eau parfaitement calme, une sorte de « panique » apparaît spontanément. Cette panique représente une sorte de peur primordiale, peur du « vide », comme si le simple contact de l’esprit avec le monde portait en soi une inquiétude fondamentale. On pourrait traduire aujourd’hui cela en terme de fonction cérébrale de survie. Pour un amas de neurones, le contact avec le monde est une sorte d’irritation imparable. Les neurones sont des cellules hautement sensibles, dédiées à l’excitation et au traitement des informations. C’est à la fois leur force et leur faiblesse que d’être de façon constitutionnelle, pourrait-on dire, hyper- sensibilisées au contact avec le monde. C’est que l’évolution a sélectionné ces cellules hautement sensibles pour garantir la survie totale de l’organisme grâce à des capacités accrues d’appréhension du monde environnant. Une appréhension qui implique une perception-reconnaissance exacte en fonction d’une mémoire, une capacité à la catégorisation, et la première, la plus fondamentale et nécessaire des catégorisations est celle du classement dichotomique entre soi et non-soi. C’est une dualité essentielle qui se joue à tous les niveaux de l’organisme : entre toutes les cellules les systèmes de reconnaissance peptidique, génétique, le système immunitaire HLA, les systèmes de reconnaissance perceptifs du non-soi et de l’autre qui apparaissent très précocement après la naissance, de reconnaissance de soi (schéma corporel, cœnesthésie, image de soi) ; finalement, « Tout être vivant se doit de défendre son intégrité » (Dausset, 1990: 19) et le souci psychologique de narcissisation est le prolongement dans la sphère psychique d’un effort qui commence dès les premiers processus générateurs du vivant.

Pour la pensée bouddhiste, à partir de cette « panique », la surface de l’eau se trouble irrémédiablement et un processus s’enclenche qui prend la forme d’une entité, non pas solide, mais plutôt de quelque chose qui relève de l’illusion, de la croyance en un « soi- même », un « ego ». « L’esprit en proie à la confusion a tendance à se voir comme une chose solide et durable, mais c’est seulement un rassemblement de tendances, d’événements » (Trungpa, 1973: 122). Le moi, qui se croit une unité, n’est qu’un rassemblement d’agrégats, de conditions et de propriétés, qu’il organise en une illusoire unité. Les cinq « agrégats » traditionnellement reconnus par la philosophie bouddhiste sont la forme, la sensation, l’impulsion, le concept et la conscience. Il s’agit de la description d’un processus graduel de construction du moi. L’agrégat de la forme émerge du « vide » à partir de notre « panique ». C’est l’acte fondateur, le point de départ, l’amas organisé de neurones « sent » quelque chose, une forme (quelle qu’elle soit), et au même moment où cette forme se constitue, l’amas se constitue lui-même, de façon encore très embryonnaire, en tant que groupement : il est « cela » qui entre en contact avec la forme et la forme le fait exister tout autant qu’il fait exister la forme (« forme » renvoie bien ici au concept classique de gestalt), c’est une co-création entre l’amas neuronal et le monde, c’est la première enaction (Varela, 1993). Cette première séparation entre soi et le monde ne peut en rester là, l’amas cérébral, tout autant que l’organisme global qui l’héberge, a besoin de solidifier la forme, ce qui solidifiera par la même occasion le soi. Cette consolidation est la sensation, qui capture le monde au travers de qualités (le chaud, le froid, le sonore, le lumineux, le doux, l’espace, le temps, etc.), chacune de ces qualités est le signe fort d’une séparation : « Si je puis sentir cela là-bas, alors je dois être ici » (ibidem: 126).

L’ego poursuit son auto-élaboration avec le troisième agrégat, l’impulsion. Il s’agit de consolider la sensation elle-même en entrant en relation avec elle, selon trois schèmes de réaction encore très primordiaux et simples : être attiré vers, s’éloigner de, ou être indifférent. Si l’on observe des bactéries qui vont vers une source de nourriture, qui s’éloignent d’un agent agressif, ou qui restent statiques dans un milieu neutre, on aura une belle illustration de ce troisième agrégat. De la forme jusqu’à l’impulsion, en passant par la sensation, nous avions affaire à des sortes d’automatismes très simples. Avec le quatrième agrégat, le concept, on entre dans les développements complexes des fonctions interprétatives de l’ego. Le monde, et le soi, seront encore plus séparés et solidifiés, à partir d’un vaste système d’étiquetage intellectuel, d’interprétations, de théories, de croyances, de logiques. C’est à partir de là que le « je » commence à se nommer lui-même, en regard des choses dans le monde qu’il nomme aussi, c’est l’ego en tant qu’il se nomme lui-même « je suis ». Finalement, c’est avec la conscience, le cinquième agrégat, que le moi atteint son plus haut point de solidification, de fascination, mais encore d’illusion, puisque cette impression de solidification, de consistance, n’est que l’effet d’un assemblage. Vous regardez cette image avec une loupe et ne voyez que des points épars de diverses couleurs. Puis, vous vous éloignez de l’image et peu à peu, des points émergent une forme, une sensation, vous reconnaissez quelque chose, quelqu’un, c’est une photo, cela vous fait réagir, et vous pouvez mettre des mots, un nom sur cette photo et laisser des souvenirs vous envahir... Avec la conscience, le moi développe sa pensée, ses théories, ses émotions différenciées, il ne réagit plus seulement, il se comporte, il réfléchit, il spécule, projette, décide, vérifie, contrôle. Mais encore, le moi se met aussi à rêver, rêveries, à fantasmer ! Du fond des processus obscurs que gèrent nos neurones, et que la psychanalyse reconnaît comme l’inconscient, émerge en permanence, durant toute la vie éveillée et durant les phases de sommeil paradoxal, un flot plus ou moins dense et plus ou moins organisé de structures mentales. Cet écoulement de pensées est destiné à nous préserver du risque de la perte de soi. C’est quelque chose que nous pouvons expérimenter chaque jour, une expérience tellement triviale qu’elle passe complètement inaperçue. Il est vraiment incroyable que Freud qui a découvert tant de choses sur notre psychisme, n’ait jamais pu voir toute l’importance de cette hémorragie psychique du quotidien. Comment a-t-il fait pour analyser si finement la « psychopathologie de la vie quotidienne », nos « actes manqués», nos «rêves», nos «fantasmes», et ne pas voir, à aucun moment, le caractère contraignant de la pensée elle-même ? Même la pensée bouddhiste aurait pu l’aider à son époque, Kant, Schopenhauer et Nietzsche étaient déjà passés par là ! Nous pensons que Freud a manqué le train de la contrainte psychique pour deux raisons, l’une générale et culturelle, l’autre tout à fait personnelle. Il est tout d’abord très difficile pour un esprit occidental, surtout s’il est formé à la réflexion scientifique, rationnelle et rigoureuse, de voir la contrainte psychique. En effet, un tel entraînement à la pensée rigoureuse fait que nous ne nous arrêtons jamais, nous restons en permanence à cheval sur le flot mental, nous ne prenons aucune distance avec lui. Aussi nous restons totalement myopes à ce qui devrait autrement nous sauter aux yeux. Pourtant Freud, avec son expérience quotidienne de l’écoute analytique, de « l’attention flottante », qui est très proche de l’expérience méditative orientale, aurait dû s’apercevoir qu’il y avait là un point à étudier, à comprendre. Mais c’est là que nous touchons à la problématique personnelle de Freud, sa « tache aveugle », le point sur lequel a buté son auto-analyse (et qui aurait peut-être été dépassé s’il avait consenti à entreprendre une véritable psychanalyse) : l’addiction. Addicté à la cocaïne, un temps, puis au tabac (et très certainement à la sexualité : « Il m’est apparu que la masturbation est l’“addiction primaire”, et que les autres addictions, pour l’alcool, la morphine, le tabac, etc., ne rentrent dans la vie de l’individu qu’en tant que substitut et remplacement de la masturbation (...) on se demande évidemment si une telle toxicomanie est guérissable, et si l’analyse et la thérapie doivent s’arrêter ici, en se contentant de transformer une hystérie en neurasthénie » – Freud, 1954: lettre de Freud à Fliess en 1897), et refusant d’aborder ces problèmes, tant à son niveau personnel, qu’au niveau de sa théorie, Freud n’a jamais su prendre en compte son addiction à la pensée, celle qui lui a permis le travail acharné de réflexion et d’écriture à l’origine de son œuvre. C’est que le cinquième agrégat, la conscience, correspond bien à une addiction, c’est la première et la plus fondamentale de toutes les addictions : nous sommes tous drogués à notre pensée, à nos fantasmes en général et en particulier à nos fantasmes érotiques. En permanence nous avons besoin de penser, penser, du matin au levé, au soir au couché. C’est l’addiction prototypique de toutes les addictions et c’est d’ailleurs le défaut de penser qui entraîne, comme par compensation, les autres addictions (ou plus assurément, l’addiction, par exemple aux psychotropes, sexuelle, ou aux activités compulsives, sert à éviter l’addiction naturelle à la pensée, comme défense contre les angoisses que génère cette même pensée).

Suivant notre hypothèse de l’effort pour la constance de la conscience, celle-ci n’est donc jamais acquise de façon définitive, elle est le résultat d’un travail incessant pour son maintien. Nos neurones doivent déployer des efforts permanents pour la maintenir coûte que coûte, maintenir cette illusion d’une unité, d’un moi, du narcissisme. C’est que la « perte de conscience » menace en permanence l’amas organisé de neurones, et surtout la perte d’identité, de reconnaissance de soi. Notre moi est fragile, soluble dans la moindre expérience un peu déstabilisante. Les émotions « nous emportent », la colère « nous met hors de soi », un choc peut « nous faire perdre conscience », les modifications de notre apparence (changements pubertaires, de la sénescence, perte d’un bras, d’un sein...) remettent en question notre identité, « nous nous perdons à nous- mêmes ». Nos cinq agrégats, forme, sensation, impulsion, concept, conscience, ne sont pas des niveaux du moi séparés les uns des autres. Ils sont tous reliés entre eux et en permanence nous voyons émerger des formes, apparaître des sensations, nous sommes agités d’impulsions, nous avons besoin de catégoriser notre environnement, de penser, de rêver et de fantasmer.

Ce risque permanent de se perdre à soi-même et la contrainte psychique protectrice qui accompagne ce risque, prennent généralement la figure du désir. Comme l’explique Trungpa (1973: 149) : « Les pensées sont suscitées par l’insatisfaction, duhkha, le sentiment constamment répété que quelque chose manque, est incomplet dans nos vies. (...) A la longue, le seul fait d’être « moi » devient cause d’irritation ». Nous développerons plus loin notre modèle à ce propos, mais retenons déjà que le narcissisme s’érige sur une expérience constante d’insatisfaction. C’est là le résultat du risque de perte d’unité de l’amas neuronal. En disant que l’expérience d’unité n’est jamais acquise de façon définitive, qu’elle nécessite un incessant combat pour la survie, nous sous- entendons aussi que la perte de l’expérience d’unité, la perte du moi, est un sentiment sous-jacent permanent. En même temps que le moi se constitue (avec les cinq agrégats), il doit s’ériger sur le risque de n’être pas, il est un feu fragile, car illusoire, qui doit constamment être entretenu. Aussi, ce danger de perte du moi prend-il figure d’une sorte d’insatisfaction fondamentale. Le moi ne peut pas être satisfait, ce serait illogique. L’illusionniste peut faire son tour de magie, parce qu’il y a un truc ! Le moi ne peut être qu’un moi insatisfait car il est formé à partir de cette tare imparable : son inexistence. Son insatisfaction fondamentale génère en permanence le premier mouvement de toute insatisfaction : le désir. Et c’est à partir du désir, des désirs générés en permanence, que se constitue le flot mental des fantasmes (et des fantasmes érotiques).

Dans cette lutte contre l’anéantissement et pour le maintien d’une intégrité, le moi possède un allier de choix : l’autre. En effet, dans la recherche d’une confirmation de soi, autrui présente un très grand intérêt : il est perçu comme image spéculaire de soi et une bonne partie du narcissisme s’élabore sur une identification à l’autre ; d’autre part, l’autre s’adresse à nous comme si nous étions une unité, une personne, un moi, ce qui tend à renforcer, là encore, l’illusion de ce moi. Cependant, en troisième lieu, l’autre représente aussi une source inestimable de stimulations, il est le fantôme intime de toute notre vie psychique, nourrissant les désirs de l’ego, il garantit ainsi sa survie. Nous verrons qu’une bonne part des « troubles du moi » provient de l’interférence produite par ce besoin de l’autre, quand l’autre ne sert plus à confirmer le moi, mais lui fait courir le risque de se perdre lui-même. 

Eric Loonis, "La Structure Des Fantasmes Erotiques"



dimanche 12 mai 2024

Faire faire

« L’innovation dans le capitalisme consiste 95 fois sur 100 à décalquer dans tous les champs d’activité possibles une poussée anthropologique de fond : passer de la puissance au pouvoir. Autrement dit : de la capacité humaine à faire, directement et sans interface, avec ses seules facultés cérébrales, physiologiques et créatives, à la possibilité de faire faire, qui est une définition primaire du pouvoir. Faire faire à l’appli, au smartphone, aux algos, aux IA, aux robots… Comme on fait faire aux femmes, aux Arabes, aux esclaves, aux petites mains, aux sans-papiers sur leur vélo, ou tout bonnement à ses subordonnés hiérarchiques, ce qu’on ne veut pas condescendre à faire : ici se tient le pouvoir. »

Extrait de : Damasio, Alain. « Vallée du silicium. »

samedi 20 avril 2024

Non à la pub onirique

extrait de mail
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salut camarade
on peut dire que ta campagne promotionnelle d’hier sous forme de suggestions de lecture a touché sa cible :
cette nuit, j’ai rêvé que je me rendais dans une librairie alternative pour y acheter urgemment le livre des Soulèvements de la Terre ainsi que le dernier Damasio.
Chapeau.
Ca me contraint quasiment à m’y rendre en vrai ce matin.
Par contre, la librairie onirique était tellement alternative qu’aucun rayon n’était rangé ni étiqueté par une signalétique quelconque.
Par voie de conséquence (pour éviter le « du coup » pandémoniaque), j’ai pas mal galéré pour trouver le Damasio, qui paraissait directement en poche chez « J’ai lu », et pas dans leur ancienne collection ésotérique l’aventure mystérieuse.
Dans mon rêve, je me résolvais la mort dans l’âme à demander conseil à une vendeuse (on sait que si Moïse a erré 40 ans dans le désert, c’est parce que les hommes ont horreur de demander leur chemin, selon cette blague sexiste qui se moque enfin des mecs)
Bref.
Je connaissais l’autorisation récente de la publicité pour le livre à la télévision, mais je vais appeler Darmanin pour demander l’abrogation du décret sur les spots de pub pendant les rêves, craignant une fragilisation du secteur et un appauvrissement de la création onirique.
Ou alors, j’écris un nouvel épisode de black mirror sur ce thème ?
J’ai bien peur que Philip K.Dick ait déjà tout dit.
a+
K.

P.S. : un article du Gorafi vraiment hilarant sur Darmanin (d'habitude je ne parcours que leurs titres) que j'ai lu à mon fils hier soir avant de lui faire subir Dune 2, mais il a mieux encaissé que moi, étant de constitution plus robuste. Salauds de jeunes !

https://www.legorafi.fr/2024/04/18/gerald-darmanin-annonce-le-lancement-dun-plan-places-nettes-xxl-turbo-alpha-triple-impact/



En 1972, Lobsang Rampa a prophétisé dans cet ouvrage l’émergence future du local syndical au sous-sol de l'entreprise (que nous appelons familièrement entre nous la grotte de la CGT), mais il n’a rencontré qu’incrédulité et moqueries.

jeudi 18 avril 2024

Les biens de ce monde

(extrait de mail)
Un jour, un auteur français de sciences humaines pas du tout universitaire que j’étudiais en catimini à la fac de psycho à Montpellier a dit ceci :

"Tous, tant que nous sommes, avons en nous “quelque chose” qui veut toutes les femmes et tous les biens de ce monde : c’est la règle chez les primates, et elle repose sur des instincts qui s’éternisent chez les humains."

J'ai mis 40 ans à admettre qu'il avait raison, en le vérifiant dans ma chair, et à en accepter les conséquences : me protéger, et protéger les miens, de ce défaut de conception de l'être humain mâle soit-disant « adulte ». (y’a qu’à voir ce qu’on appelait autrefois les « films pour adultes », qui s’adressent en fait à des demeurés émotionnels)
Je crois en avoir délivré une version plus légère dans mon autoportrait en pornographe éclairé : "dieu nous a donné une bite et un cerveau, mais pas assez de sang pour irriguer les deux en même temps"

jeudi 11 avril 2024

crétinisation

Je considère la télévision, le cinéma, la presse, le journalisme comme de grands moyens modernes d'avilissement et de crétinisation des foules. Mais j'adore les utiliser parce que au point de vue pratique, après il y a plus de gens qui courent après Dali, et les tableaux se vendent plus cher.

Salvador Dali, "l'oeil du cyclone 44 > Dali à la télé, vers 14'32''

Il y a plusieurs pays dans mon pays. « Vous, les Américains », ça ne veut rien dire. C’est un peu comme « Vous, les Européens »… Si vous habitez dans le Sud, vous pouvez avoir autant en commun avec un New-Yorkais qu’avec un Norvégien ! Moi, je viens de la côte : côte Est hier, côte Ouest aujourd’hui. En roulant une heure, je peux me retrouver dans les régions conservatrices de la Californie. Il n’y en a pas beaucoup mais elles existent ! Malgré toutes ces différences, il y a quand même un abrutissement incroyable qui traverse tout le pays. Et qui a commencé à partir du moment où il est devenu possible d’avoir des chaînes de télévision qui ne diffusent qu’un seul point de vue. C’était littéralement interdit par la loi autrefois. Maintenant, il y a des gens — à droite comme à gauche, d’ailleurs — qui se contentent d’aller chercher les informations qui confirment tous leurs préjugés. Et cela dure depuis une génération. On voit le résultat. Je ne sais pas où ça nous mènera… Pour être honnête avec vous, j’ai très peur pour mes enfants. J’aimerais voir mon pays retrouver la raison.

Dennis Lehane, dans le Télérama de la semaine dernière

mercredi 11 octobre 2023

Lasagnes psychologiques

Nous sommes des lasagnes psychologiques : trois types d’identités (intérieure, familiale, sociétale). Je possède donc à la fois le passé de mes ancêtres, mais je suis également victime de mon temps. Au-delà de l’aspect psychologique personnel, de la transmission des fautes des parents à leurs enfants et du besoin de résilience des enfants aux besoins, souffrances et manques de leurs parents, chaque génération est traversée par l’histoire de son « pays » : pas seulement les batailles, mais également les mouvements sociaux, les évolutions, et principalement celles de la famille dont le concept est fondamentalement remis en question lors du XXe siècle. Je suis persuadé que nous ne pouvons donc observer ou analyser notre époque qu’à travers notre prisme personnel et actuel. Le regard que nous portons sur l’Histoire demeure donc multi-couches. Même si des historiens tentent d’en donner une version définitive, il est important de garder à l’esprit que rien n’est simple.

Bernard Hislaire, dit Yslaire // Interview donnée à actuabd

https://www.actuabd.com/Yslaire-la-bouleversante-suite-de-Sambre

lundi 22 mai 2023

Incertain

"« Le plaisir est incertain, le malheur est incertain, l’amour est incertain, la tranquillité est incertaine, l’agitation est incertaine. Tout, absolument tout, est incertain. Donc, quoi qu’il arrive, si nous comprenons cela, nous ne sommes piégés par rien. »

Ajahn Chah. « Tout apparaît, tout disparaît : Enseignements sur l'impermanence et la fin de la souffrance.»

mardi 9 mai 2023

L’effet de la musique

« L’effet de la musique n’est pas d’exprimer quelque chose mais de n’exprimer qu’elle-même, a répété Stravinsky. Une telle opinion n’a pas manqué d’indigner, d’abord certains musiciens, ensuite les amateurs de musique qui montraient par là qu’ils ne comprenaient pas ce que voulait dire Stravinsky, et qu’ils ne comprenaient pas davantage la musique ; qu’ils pouvaient sans doute apprécier en raison de motivations extérieures à elle (souvenirs, associations d’idées, échos d’émotions profondément éprouvées mais encore une fois étrangères à ce qu’il y a de précisément émouvant dans la musique). « La musique provoque des sentiments, elle ne les exprime pas », écrit justement Alexandre Tansman, compositeur, grand ami et meilleur biographe de Stravinsky. Quels sont alors les sentiments ou émotions qu’elle pourrait susciter ? Ce sont évidemment tous les sentiments ou émotions qu’elle fait naître, à l’exception de tous ceux que l’exercice ordinaire de la vie suffit à évoquer. Mais les émotions de la vie n’ont rien à voir avec les émotions inspirées par la musique. Schopenhauer, le premier philosophe à avoir pris la musique au sérieux, est aussi le premier à avoir dit la différence absolue qu’il y avait entre l’émotion musicale et toute autre forme d’émotion : il est très difficile, voire impossible, d’expliquer le rapport qu’il y a entre la musique et le monde. »

Clément Rosset. « L'endroit du paradis. » iBooks. 


mercredi 26 avril 2023

après l’extase, la lessive

après l'orgasme, le pressing
Le véritable devoir de la vie spirituelle ne se trouve ni dans des lieux éloignés ni dans des états de conscience sortant de l'ordinaire. Il prend place ici, dans l'instant présent. Cela exige un esprit bienveillant, prêt à accueillir d'un cœur sage, respectueux et bon, tout ce que la vie nous présente.
Nous pouvons saluer aussi bien la beauté que la souffrance, nos troubles, notre confusion, nos peurs et les injustices de ce monde. Honorer ainsi la vérité est le chemin de la libération. S'incliner devant ce qui est, plutôt qu'au pied d'un idéal, n'est pas nécessairement chose facile mais, quelles que soient les difficultés, c'est l'une des pratiques les plus utiles et louables.
En saluant les événements de notre vie, les chagrins, les trahisons, nous les acceptons et par cette démarche profonde nous découvrons que dans la vie rien n'est insurmontable ou inutile. Apprendre à rendre hommage permet de découvrir que le cœur détient plus de liberté et de compassion que nous ne pouvions l'imaginer.

Jack Kornfield : « après l’extase, la lessive »

vendredi 14 avril 2023

Récapitulons le peu que nous savons sur la récapitulation

Repartons dans l'observation de l'esprit. Il y a en fait la forme, et "sous la forme", on va dire les mouvements énergétiques reliés à la forme. Il est bien évident que ça ne sert à rien de récapituler les formes pour elles-mêmes. Ce qu'il faut, c'est trouver le filament énergétique attaché sous la forme (la racine sous le pissenlit), et le suivre. A partir de quoi on s'aperçoit qu'il y a des centaines de plantes accrochées à la même racine, des pissenlits, des violettes, et même des baobabs.
Bon, je ne récapitule presque jamais parce que j'essaie toujours de le faire sur le vif, mais là par exemple je viens d'en faire une. Par exemple tout à l'heure j'ai eu une explication avec un ami parce qu'il ne voulait pas me laisser prendre un objet en photo. On va dire que ça a duré une bonne demi-heure. Si je récapitule bêtement, je vais me repasser toute la demi-heure. Donc, je fais un gros tas avec toute cette histoire en général, et je regarde ce qui me fait sentir le plus mal à l'aise. C'est juste un moment qui a duré peut-être un dixième de seconde, et qui n'a pas eu lieu au cours de cette demi-heure, mais une heure plus tôt. Quand je pense à ce dixième de seconde, je me sens comme une merde, pour résumer. Donc je me demande pourquoi, et la récapitulation ne consiste donc pas à me repasser la conversation (examiner les pissenlits horizontalement), mais à descendre verticalement le long de ce dixième de seconde, où j'étais en train de regarder l'objet. Il me vient (je parle au présent pour faire plus vivant mais c'est du passé) que c'est comme si j'avais voulu voler cet objet à ce moment, donc voler mon ami, ou encore voler son coeur, vision du chasseur qui a tué le lion dans la brousse et qui se retrouve avec un pauvre animal mort, voilà j'ai tué mon ami, c'est sympa de ma part, et maintenant qu'est-ce que je fais ? Remontons le long de la racine dans la sensation de "voler", en fait c'est rapprocher quelque chose de soi, ou vouloir se le coller à soi dans son espace personnel. Ce qui suppose qu'il y aurait des objets existant en dehors de son espace personnel. Si on y regarde de près, ça n'existe pas. Ce que j'ai projeté sur l'objet n'est qu'une projection de quelque chose que j'ai. Donc je me concentre sur ce que j'ai, je comprends que je l'ai, je rends son objet à mon ami puisque je n'en ai plus besoin, en fait il est en moi, j'en ai même des milliers et je peux même en envoyer (en tant que bénédiction) au monde entier dans l'espace autour de moi.
Je ne dis pas que c'est fini car on ne se débarrasse pas comme ça de son désir d'appropriation du bien d'autrui. Mais en gros c'est l'idée de la récapitulation, et le résultat n'a strictement rien à voir avec l'évenement formel (une explication avec un ami) qu'on aurait cru devoir se repasser en boucle.
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Je pense qu'il faut commencer par repérer l'image clé, car il y a toujours une image clé sur un long événement, souvent pas plus d'un dixième de seconde. Après, il y a un gros blocage sous l'image clé, une plaque de béton sous le pissenlit. Là, faut insister, essayer de sentir où ça va. Ensuite, on voit où ça va, on se retrouve avec une grosse merde, et c'est là où ça se complique. Soit on a les outils pour détordre la chose (la perception des filaments énergétiques qu'on balance un peu partout et la perception de la torsion (l'ignorance) qu'on y a introduit et qui fait qu'on s'est coincé des filaments dans une porte), soit on ne l'a pas. C'est pourquoi je ne conseille pas forcément la récapitulation, car si on ne peut pas traiter le problème, c'est encore pire après.

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Toutes les méthodes indiquées par les traditions sont valides pour développer ce sens, cela dit je pense qu'on est plus sûr d'arriver si on met les 3 étages : physique (qi-gong ou yoga), psychologique (récapitulation), et conscienciel (PP, vipassana)... et avec la transmission d'un maître c'est pas plus mal, parce que tout cela doit être fait dans la perspective de la nature de l'esprit. Pour qu'un arbre pousse droit, il doit être attiré par le point le plus haut du ciel.
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20/04/01. Un exercice de récapitulation.
A force de lire Castaneda, je me décide à entreprendre une récapitulation plus systématique, mais sans grand espoir. En effet la pensée perceptive a dénoué des tas de fils qu'il va falloir ruser pour remettre ensemble et rien que l'idée me fatigue. En effet, la récapitulation faite en respiration consciente introduit la respiration consciente dans le souvenir-même, et si le souvenir a déjà été repassé, il a de ce fait été modifié. Il évoque donc des images qui sont partiellement dénuées de la charge énergétique qui leur était primordialement attachée, soit qu'elle a été récupérée, soit qu'elle s'est simplement détachée et qu'il va falloir la retrouver autrement. Et c'est là que ça devient compliqué car soit il faut y aller par les émotions directement (« toutes les fois où j'ai déçu quelqu'un, toutes les fois où j'ai subi une injustice ») soit il faut ruser et amplifier les émotions contenues dans les images, c'est-à-dire ne pas hésiter à trafiquer les images dans ce sens.
Donc, après avoir dressé une liste d'environ 200 personnes, je décide hier soir de m'attaquer à un morceau pas trop gros d'un point de vue temporel et a priori pas « dangereux », mes profs de piano d'il y a quelques années. Je commence par S.A., et bien que je l'aie fréquenté un an et demi, franchement rien d'intéressant ne vient. Je passe donc à son élève S.L. chez qui j'avais été quelques mois et qui m'avait amené chez lui. Rien ne vient d'un point de vue factuel, cependant je me dis que j'aimais bien ce garçon, et que j'avais été ennuyée quand il avait trouvé une copine. Une super-copine d'ailleurs, que j'ai peu vue, mais qui m'avait marquée à ce point que que ça m'avait suffi pour en faire un personnage important de mon roman à une certaine époque. Je commence à me dire que si ça se trouve je devais être plus ou moins amoureuse de SL, alors que rien de factuel ne me revient à ce sujet, mais ma politique est de faire confiance aux impressions présentes plutôt qu'à des déductions sur ce qu'a dû être le passé. Le pire c'est que toujours factuellement, il était évident que je n'avais rien à faire avec ce garçon. Du coup je me mets penser à d'autres garçons qui m'inspirent le même sentiment troublant qui peut se résumer à : il était évident que je n'avais rien à faire avec et pourtant le fait qu'ils ne me regardent pas m'énervait ou me rendait triste. J'ai pensé à des types du Gymnase club que j'avais trouvés plutôt mignons à l'époque mais qui eux ne me disaient même pas bonjour, et finalement, à toute une série de types dont certains ne m'intéressaient même pas, mais dont je ne supportais pas l'indifférence. Et je me suis aperçue qu'ils étaient sacrément nombreux. J'ai repensé à ce que disait la liseuse d'auras « vous avez un problème avec les hommes » et que je ne comprenais pas. En fait je ne pouvais pas comprendre puisque moi j'avais toujours le sentiment de bien les aimer, mais le problème, si on peut dire, se situait dans le fait que je ne supportais pas leur indifférence. Et que c'était un problème en ce sens qu'après tout on ne peut pas être aimé de tout le monde et que je n'étais pas la première à trouver sur ma route des gens indifférents. Là, il était évident que la chose venait de très loin dans mon enfance, et je me suis demandée si ça venait d'une certaine attitude de mon père qui de toute évidence refusait un certain nombre de mes comportements de petite fille vis-à-vis de lui. Ça pouvait être une explication valable pour dire que je jouais toujours ce même scénario en me débrouillant pour me faire jeter par tous les mecs qui me plaisaient, mais quelque chose dans cette explication n'allait pas du tout car de fait aucun de ces mecs ne ressemble à mon père. J'ai donc commencé à chercher à qui ils pouvaient bien ressembler, sans voir du tout. Nouvelle galipette mentale, j'ai cherché parmi les personnages fictifs. Mais ça ne figurait pas non plus dans mes personnages de roman, pas clairement en tous cas. C'est là que me revient un film vu récemment, 84 Charing Cross Road avec Anthony Hopkins où j'ai pleuré comme une madeleine parce qu'il était mort à la fin. Je détaille le personnage : le pauv' mec gentil qui vit une petite vie minable, coincé au possible, pantoufles, horaires stricts, qui décroche pas un mot à table, qui lit son journal tous les matins, qui bricole ses machins à lui tout seul dans son coin, et qui se garde tous ses problèmes pour lui. Je me demande où j'ai bien vu voir ça quand j'étais petite, et soudain, je réalise : mon grand père maternel. En fait il n'est pas exactementcomme ça, mais c'était effectivement un pauv' type tout seul dans son coin. Ici se dégage un fait très important : je n'ai JAMAIS eu le sentiment que mon grand-père en tant que lui-même était quelqu'un d'important pour moi, et je n'en ai toujours pas l'impression, c'est-à-dire que l'image globale de mon grand-père en tant que tel n'évoque qu'une émotion très diffuse. Pourtant il est effectivement dépositaire de l'image du père, comme le lit de la rivière est dépositaire de pépites d'or, mais il faut le passer au tamis pour s'en rendre compte.

L'idéal, c'est ensuite d'avoir des zones-tests permettant de savoir si l'énergie est dégagée ou pas. Dans mon roman, par exemple, le personnage de Matthews qui a hérité partiellement du grand-père l'exprimait dans le fait qu'il était amoureux d'une bonne soeur qui ne voulait pas de lui et que c'était la tragédie de sa vie. A la fin, je pensais lui faire retrouver la bonne soeur (« et ils vécurent heureux ensemble »), qui en réalité n'est pas du tout le genre de femme qu'il lui faut : il la faut à mon grand-père, mais pas à Matthews qui est fondamentalement quelqu'un qui cherche la liberté (comme moi). Eh bien brusquement la fin de cette histoire a changé. Matthews revoit la bonne soeur, s'aperçoit qu'il n'est plus amoureux, et se met avec une femme qui, comme lui, est libre. Et il n'en a pas même « besoin », en ce sens la relation a cessé d'être fusionnelle. Elle l'enrichit mais ne le rend pas dépendant. En quelque sorte, il est devenu complet. Alors qu'avant, quelque chose manquait, un certain type de femme qui représentait le souvenir de sa mère.
Car, suite de l'histoire, je me suis demandée pourquoi beaucoup de femmes me mettaient mal à l'aise. En fait c'était toujours les mêmes : celles qui allaient avec des genres de types comme mon grand-père, c'est-à-dire des femmes qui ne peuvent pas se passer de leur mec (qui lui, ne peut pas se passer d'elles). En plus de ça je leur en voulais de me piquer ces mecs qui n'étaient pas du tout faits pour moi. Alors qu'en fait, les femmes libres, je les apprécie plutôt.
D'ailleurs après tout ça j'ai eu une étrange crampe d'estomac, avec une acidité qui est remontée, or mon grand-père avait un ulcère à l'estomac.

En somme l'exercice de la récapitulation, pour être efficace, me semble exiger certaines conditions :
- jouer à saute-mouton entre personnages/faits réels et imaginaires pour suivre les chaînes émotionnelles.
- ne pas faire confiance à la logique : un personnage ne représente pas forcément ce qu'il est censé représenter. Par exemple, Dark Vador représentait pour moi l'image de la mère primordiale plutôt que l'image du père.
- ne pas faire confiance à l'image-camescope mais chercher plutôt à quelle impression elle pourrait être reliée. Ce sont les impressions qui donnent la clé, pas les formes et les couleurs des choses. Par exemple je peux décrire un perroquet comme un animal sournois, peureux et lâche. Ce qui est important c'est le qualificatif, pas l'oiseau extérieur. De même je peux décrire Superman comme étant : pas très malin, faible, et coincé. C'est sur ces qualificatifs qu'il faut remonter les chaînes émotionnelles.
- Appuyer toujours là où ça fait le plus mal et amplifier tout ce qui paraît pertinent. De la sorte on définit une ligne de plus grande pente et on arrive vite au fond du trou. La règle, c'est que les souvenirs les plus anodins sont fractalement reliés aux plus gros noeuds, mais qu'on fait tout pour les éviter. En fait on sait immédiatement ce qu'on a fait dans une relation, mais on se le cache immédiatement. Dans ce cas, on peut se demander : que n'ai-je pas fait ? Par exemple, quand j'ai dit telle chose à telle personne, « ce n'est évidemment pas la jalousie qui m'a motivée ». Il suffit d'enlever le « ne... pas » et on obtient la ligne de plus grande pente.
- ne pas hésiter à fantasmer tout et n'importe quoi. Exemple, j'ai eu un accident de patin à roulettes il y a quelques années. Je me suis retrouvée sur une route en forte pente avec uniquement des rochers de chaque côté. Finalement je me suis retrouvée la tête la première dans les rochers à 30km/h. Je n'ai rien eu de grave mais le soir-même, je sentais bien que de l'énergie s'était accrochée dans le souvenir de l'accident. Donc j'ai commencé à me le repasser sous tous les angles, mais ça ne suffisait pas, alors je lui ai imaginé toutes les fins possibles, l'hosto, le cimetière etc... Jusqu'au moment où ça ne me faisait plus rien. On fait facilement la différence entre les fantasmes qui récupèrent de l'énergie et ceux qui n'en récupèrent pas. De même un film qui laisse une sale impression, il faut plonger droit au coeur de l'impression et chercher toutes les imaginations qui lui sont reliées, on trouve vite des sensations physiques. Après quelques passages, l'énergie se vide.

Les scientologues ont une technique équivalente puisque l'électromètre permet de repérer l'endroit précis où l'émotion est accrochée. Il s'agit ensuite de se repasser tous les « antérieurs et similaires », d'en dégager l'énergie (en repassant cent fois dessus) et ensuite et se les repassant à l'électromètre pour vérifier que l'émotion a disparu.

Ce qui dans le cas présent tient lieu de repassage à l'infini, c'est la respiration consciente, qui permet de minimiser le nombre de passages.
Ceci cependant ne permet de dégager que les petits problèmes. Pour les gros qui sont reliés à des structures fondamentales, soit il faut repasser à l'excès et au hasard tous les événements plus ou moins liés et qui le sont par centaines, soit on retrouve la source (sous forme d'événement ou d'image primordiale) : dans ce cas, soit la clarté tient lieu de nettoyant, et tous les souvenirs reliés sont automatiquement libérés, soit elle permet de retrouver les souvenirs liés qui seront plus facilement libérés du fait de cette nouvelle connaissance. Mais dans tous les cas, la respiration consciente constitue un accélérateur.

Le problème de telles méthodes est évidemment qu'elles sont très efficaces, mais à quoi ? A récupérer de l'énergie, sans doute, à destructurer la personnalité, surtout. Dans le cas de la Sciento, ce qui remplace l'ancienne personnalité est l'égrégore de la sciento. Dans n'importe quel groupe (bouddhisme, castaneda) pratiquant ça, s'il n'y a pas de base, la base deviendra l'égrégore du groupe. Dans le cas de la psychanalyse, la base devient une nouvelle personnalité reconstruite selon les canons de l'école envisagée.
Il faut donc savoir que si on pratique l'exercice sans filet, on deviendra un porte-parole de l'égrégore de l'école à laquelle on appartient. La seule alternative c'est d'avoir sa propre base, qui n'est autre que l'état naturel du Dzogchen auquel on ajoutera éventuellement le « Je » transcendental ou « Soi », donc l'existence est avérée aussi bien dans le dzogchen que chez Ramana Maharshi par exemple (« il y a un Soi mais ce Soi est un Je »). Par la pratique de la remémoration, c'est cette base qui apparaît. Mais dans le bouddhisme par exemple, on voit beaucoup de ratés, de gens n'ayant pas trouvé l'état naturel, et qui du coup sont investis par l'égrégore.
L'état naturel étant l'état dont surgissent spontanément toutes les qualités (vacuité, clarté, béatitude, et ensuite « vertus » de toutes sortes), si ces qualités ne sont pas expérimentées, on peut être certain que l'état expérimenté n'est pas l'état naturel, que par conséquent la base est fausse et que l'exercice de remémoration aura les plus funestes conséquences.
En fait, l'état naturel (le chrétien dirait « la présence de dieu ») est ce qui fait que les pratiques seront libérantes ou aliénantes (alors que l'efficacité est déterminée par la conscience - sous forme d'attention globale ou de respiration consciente - ou par d'autres facteurs énergétiques). Le danger est en fait celui d'une pratique efficace mais aliénante par l'absence de l'état naturel comme base. Dans ce cas, la personne peut être éloignée d'elle-même sans aucun moyen de s'en apercevoir (c'est ainsi qu'on voit des gens changer du tout au tout après être entrés dans une secte).

dimanche 2 avril 2023

Z comme Zombie

Durant les trente dernières années, l’Occident fayot et énamouré n’a cessé de faire les yeux doux à la Russie. Tout a été pardonné, oublié, minimisé – à commencer par la barbarie des guerres de Tchétchénie. Pourvu qu’on soit amis ! Que ce grand peuple veuille bien saisir notre main tendue ! La Russie, c’est l’Europe ! Nous sommes frères en culture, en christianisme, en peau blanche ! Les crimes devenaient de plus en plus voyants, arrogants, sinistres – la démangeaison russophile de l’Occident ne faiblissait pas, ou si peu. « Ils reviennent de soixante-dix ans de communisme », « Ils sont porteurs de l’âme slave, tellement incompréhensible et si belle », « C’est de notre faute, on les a pervertis avec notre capitalisme débridé », « On les a regardés de haut quand ils étaient pauvres après la perestroïka », « Ils ont tellement souffert pendant la Seconde Guerre mondiale », « Quelle grande culture, quelle grande nation ! », « Ils sont foutraques et imprévisibles, mais on ne s’ennuie pas », « Leurs femmes sont les plus belles du monde », « que n’ai-je entendu pendant trente ans pour justifier notre complaisance ! Toutes les excuses étaient bonnes à prendre. La plus cliché : « La fin de l’URSS a été un traumatisme, une humiliation », alors que c’était au contraire une chance inouïe de vivre enfin normalement, tant pour les Russes que pour les colonies libérées du joug soviétique. La plus perverse : « Ils sont nos alliés dans la lutte contre l’islamisme radical », alors que c’était exactement l’inverse qui se passait8. Ah ! on les plaignait, ces Russes ! On les flattait aussi. On les complimentait pour chaque petit effort qu’ils faisaient pour paraître gentils. On applaudissait leur mansuétude à ne pas se précipiter pour transformer la Russie en un nouveau goulag. Pourvu qu’ils acceptent de faire semblant d’être un pays normal, c’est tout ce qu’on leur demandait. Alors ouvrons vite des centres d’échanges culturels ! Construisons des églises orthodoxes ! Vendons-leur des armes ! Ce sera la prospérité pour tout le monde !
« À toutes nos envies d’amour, la Russie a répondu par des crimes de guerre, des pitreries vulgaires et une pluie de coups tordus visant à nous affaiblir de l’intérieur pour exporter sa putréfaction chez nous. Chaque année, ses éperons se plantaient de plus en plus profondément dans le canasson. La dépendance au gaz, au pétrole, aux matières premières, les investissements colossaux que les Occidentaux naïfs et opportunistes ont accumulés en Russie, les projets croisés, les participations financières des oligarques russes dans nos entreprises, les contrats pharaoniques et les montagnes de camelote de luxe qu’on parvenait à leur vendre – la bride se tissait et se serait, implacable. Aujourd’hui, l’Occident a enfin l’opportunité historique de s’affranchir de cette ombre maléfique qui nous chevauche.
Vers la fin d’Une effroyable vengeance se trouve un des passages les plus simples et les plus terrifiants jamais inventés par un écrivain. Gogol raconte la fuite à cheval du sorcier démoniaque. Au moment de franchir un ruisseau, le cheval s’arrête, tourne sa gueule vers le sorcier et se met à rire en dévoilant deux rangées de dents d’un blanc éclatant. Puissions-nous être ce cheval et nous libérer de l’hypnose dans laquelle nous a plongé notre envie« implacable. Aujourd’hui, l’Occident a enfin l’opportunité historique de s’affranchir de cette ombre maléfique qui nous chevauche.
Vers la fin d’Une effroyable vengeance se trouve un des passages les plus simples et les plus terrifiants jamais inventés par un écrivain. Gogol raconte la fuite à cheval du sorcier démoniaque. Au moment de franchir un ruisseau, le cheval s’arrête, tourne sa gueule vers le sorcier et se met à rire en dévoilant deux rangées de dents d’un blanc éclatant. Puissions-nous être ce cheval et nous libérer de l’hypnose dans laquelle nous a plongé notre envie d’idéaliser ce peuple et sa malédiction. »

Iegor Gran. « Z comme zombie. »

lundi 20 mars 2023

Vivre, c’est perdre

Le deuil est comme une mort anticipée, comme un échec d’autant plus douloureux qu’il n’est pas, qu’il ne peut être le dernier. Etre en deuil, c’est être en souffrance, comme douleur et comme attente : le deuil est une souffrance qui attend sa conclusion, et c’est pourquoi toute vie est deuil, toujours, puisque toute vie est douleur, comme disait le Bouddha, et quête de repos... Le deuil marque donc l’échec du narcissisme (“sa majesté le moi” perd son trône : le moi est nu) et, par là, l’entrée dans la vraie vie.(...)

“Nous ne savons renoncer à rien” disait Freud : c’est pourquoi le deuil est souffrance et travail. Il y a souffrance non à chaque fois qu’il y a manque, mais à chaque fois que le manque n’est pas accepté. Le monde nous dit non et nous disons non à ce refus. Cette négation de la négation, loin d’aboutir à je ne sais quelle positivité, nous enferme dans la douleur. Nous sommes malheureux parce que nous souffrons, et nous souffrons encore plus d’être malheureux 

(...) 

Le travail de deuil est ce processus psychique par quoi la réalité l’emporte, et il faut qu’elle l’emporte, nous apprenant à vivre malgré tout, à jouir malgré tout, à aimer malgré tout

(...)

La vie l’emporte, la joie l’emporte, et c’est ce qui distingue le deuil de la mélancolie : dans un cas, le sujet accepte le verdict du réel - “l’objet n’existe plus” - et apprend à aimer ailleurs, à désirer ailleurs. Dans l’autre, il s’identifie avec cela même qu’il a perdu ( il y a si longtemps, et il était si petit!), et s’enferme vivant dans le néant qui le hante.”Si je meurs, se lamente-t-il avec Nerval, c’est que tout va mourir... Abîme ! Abîme ! Abîme ! Le dieu manque à l’autel où je suis la victime... “ Incapable de faire son deuil, le mélancolique reste prisonnier du narcissisme et de la carence inévitable de son objet. 

Mais qui échappe au narcissisme ? qui échappe au deuil ? 

C’est en quoi le mélancolique nous en apprend long sur nous-mêmes, et plus que bien des optimistes de doctrine ou de tempérament 

(...) 

Dans plusieurs de ses plaintes contre lui-même, observe Freud, le mélancolique “nous semble avoir raison, et ne faire que saisir la vérité avec plus d’acuité que d’autres personnes qui ne sont pas mélancoliques. Lorsque,dans son autocritique exacerbée, il se décrit comme mesquin, égoïste, insincère, incapable d’indépendance, comme un homme dont tous les efforts ne tendaient qu’à cacher les faiblesses de sa nature, il pourrait bien, selon nous, s’être passablement approché de la connaissance de soi, et la seule question que nous nous posions, c’est de savoir pourquoi l’on doit commencer par tomber malade pour avoir accès à une telle vérité. Le mélancolique est malade de la vérité, quand beaucoup de normausés moyens, comme dit un de mes amis psychiatres, ne vivent que de sa dénégation. C’est que la vérité est pour lui une blessure narcissique, comme elle est presque toujours, et on ne peut en sortir que par l’illusion (la santé ?) ou la fin du narcissisme (la sagesse). 

Le mélancolique est incapable de l’une et de l’autre. Il ne sait ni se duper ni se déprendre: incapable de faire son deuil de soi, il ne cesse de souffrir sa propre mort de son vivant et le monde entier en est comme vidé ou éteint (...) La solution serait de “tuer le mort”, c’est à dire puisqu’il s’agit de soi, de s’accepter mortel,et de vivre. Mais le mélancolique est inapte au deuil, et c’est en quoi il est notre frère à tous : “nous ne savons renoncer à rien” et du fond de sa souffrance indique le chemin : deuil ou mélancolie. (...) c’est seulement une fois qu’on a fait son deuil de soi que l’on peut cesser, sans dénégation ni divertissement, de penser toujours au néant.

(...) 

“Nous ne savons renoncer à rien, nous ne savons qu’échanger une chose contre une autre”: c’est donner le remède en même temps que le diagnostic. Il ne s’agit pas de ne plus aimer, ni d’aimer moins, mais d’aimer autre chose, et mieux : le monde plutôt que soi, les vivants plutôt que les morts, ce qui a eu lieu plutôt que ce qui fait défaut... C’est le seul salut : tout le reste nous enferme dans l’angoisse ou l’horreur. Car tout est éternel, certes (cet être qui n’est plus, et tout ce que nous avons vécu ensemble : éternellement cela restera vrai) mais rien n’est définitif que la mort. Aussi faut-il aimer en pure perte, toujours, et cette très pure perte de l’amour, c’est le deuil lui-même et l’unique victoire. Vouloir garder c’est déjà perdre ; la mort ne nous prendra que ce que nous avons voulu posséder.

(...) 

J’écris cela en tremblant, me sachant incapable d’une telle sagesse, mais convaincu pourtant (ou à cause de cela) qu’il n’y en a pas d’autre, si tant est qu’il y en ait une (...) Courage, les survivants !


André Comte - Sponville, aka "Dédé-la-branlette"

“ Vivre c’est perdre ” in “Deuils”, numéro spécial de la revue Autrement




dimanche 5 mars 2023

Vers la 5D

- Je trouve l’IRL (In Real Life => le réel) bien plus enrichissant que le virtuel. Même avec mes connasses dépressives alcooliques.

- C'est le point clé de notre incompréhension finalement.
En fait tu confonds le virtuel avec l'imaginaire (ou l'imaginal, disons).
En effet, le virtuel (jeux videos, mais même les films, en somme un pseudo-réel sur écran ou même en 3D qui se donne à voir et à entendre, et bientôt à sentir) constitue un appauvrissement dramatique de l'IRL.
Mais imagine maintenant une réalité dont l'IRL constitue un appauvrissement dramatique ?

Nous avons donc :

2D : monde virtuel
3D : IRL
4D : monde imaginal
5D : monde intelligible

Tu ne peux évidemment imaginer ni 4D ni 5D, mais tu peux intellectuellement les concevoir, en reportant la différence entre 3D et 2D. Sauf qu'il va te manquer l'aspect qualitatif et surtout l'aspect jouissif.

Quand tu t'étonnes que je ne voie pas les gens IRL, c'est comme si je m'étonnais que tu préfères tes réunions AA à des jeux vidéos. Voire à du tetris. Comparé au monde intelligible, une réunion avec des gens, genre AA ou repas entre potes, c'est du tetris. Si pendant la réunion je peux mettre mon mp3 et fermer les yeux, déjà ça va mieux, mais dans ce cas, autant ne pas y aller non ? Pour le moment je ne suis pas capable de superposer le monde intelligible et les réunions. Quand je vais me promener avec L**, je lui demande de parler le moins possible (ce qui n'est vraiment pas facile), et maintenant je mets mon mp3 à demi, sinon ma promenade est foutue.

Je sais que ce que je dis est totalement incompréhensible, et d'ailleurs c'est incompréhensible à tout le monde, parce que personne ne connaît ça, sauf quelques très rares personnes. Il en a d'ailleurs résulté une attaque générale contre moi dans le stage "soufisme et yoga" où j'étais allée il y a 2 ans. Les gens n'avaient aucun intérêt pour moi et ils l'ont bien senti. On m'a dit que j'étais asociale, que je n'avais pas d'amis, etc, je leur ai répondu que j'avais des relations infiniment plus enrichissantes que ce qu'ils considéraient comme de l'amitié, et ils étaient totalement furieux. Mais c'était la stricte réalité. Relis Thérèse d'Avila et sa relation à Jésus. Celle que j'ai avec mes êtres intérieurs n'en est pas à ce point, mais c'est à mi-chemin à peu près.

Ensuite, il se trouve qu'il est possible de projeter ce type de relation à travers l'écrit (avec le visuel et la parlotte c'est bien plus difficile, disons que c'est un autre niveau de pratique), et il se trouve aussi qu'il y a des personnes sur qui cela a un effet bien réel. C'est pour cette raison qu'il y a des ermites qui refusaient de voir les gens, tout en écrivant beaucoup. Si tu pouvais projeter une telle chose sur ta femme (pour ne donner qu'un exemple), même de façon intermittente, votre vie en serait complètement changée. Ce n'est pas ignorer les gens, c'est les considérer au niveau de leur âme, et non pas au niveau de leur être matériel. S'ils y sont sensibles, ça fait de l'effet. Sinon, non.

Depuis le temps qu'on se connaît, tu devrais me connaître... je crois avoir répété des dizaines de fois que j'ai eu un grand nombre d'amis intimes, au moins une vingtaine, un type d'amitié que la plupart des gens ne connaissent pas une seule fois dans leur vie (des gens à qui tu téléphones presque tous les jours ou que tu vois presque tous les jours pendant une période quand même assez longue, parfois c'était 4h au téléphone). Quand je dis que ce n'est rien comparé à ce que j'ai maintenant, je sais de quoi je parle. Je peux également dire que si les amitiés d'enfance laissent de meilleurs souvenirs, c'est parce qu'il s'y mêle une part de projection imaginale, une faculté qui se perd à l'âge adulte.

F. (circa 2015)