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mardi 28 octobre 2025

Charlie Martel

« Il ne faut pas oublier une chose : le point de départ de l’intégrisme islamiste, ce ne sont pas les théories des Frères musulmans, mais l’arrivée de la parabole dans les pays arabes. C’est quand, tout d’un coup, la modernité, le sexe, la liberté, tout fait irruption. Et les intégristes se sont sentis débordés.
- La démocratie propose une image que théoriquement ils refusent mais qu’instinctivement ils désirent ?
Exactement. Le fait de pouvoir avoir cette image mais dene pas la consommer en même temps, ça rend fou. Et c’est le coeur de tout.»


Malek Boutih, dans le Charlie Hebdo du 11 mars (mais je sais plus quelle année)

samedi 25 octobre 2025

Jakób et Moliwda

« Nahman, que le bon vin de la cave de Jakób a détendu, dit à Moliwda :
– Quand tu considères que le monde est bon, le mal devient exception, lacune, erreur, et plus rien n’a de sens. Quand tu pars du principe inverse, que le monde est mauvais et le bien une exception, alors tout s’ordonne intelligiblement. Pourquoi ne voulons-nous pas voir ce qui est évident ?
Moliwda poursuit sur le sujet :
– Chez moi, au village, on dit que le monde est divisé en deux, deux forces motrices, la bonne et la mauvaise…
– C’est quoi « ton » village ? interroge Nahman la bouche pleine.
Moliwda l’éconduit d’un geste impatient de la main et poursuit :
– Il n’y a pas un homme qui ne veuille du mal à un autre, d’État qui ne se réjouisse de la chute d’un autre, de marchand qui ne veuille la faillite de son voisin… Livrez-moi celui qui a créé cela. Celui qui a bâclé son travail !
– Laisse tomber, Moliwda, le calme Nahman. Tiens, mange ! Tu ne manges pas, tu ne fais que boire.
Tout le monde s’égosille à qui mieux mieux ; manifestement, Moliwda a mis un bâton dans la fourmilière. Il rompt un morceau de galette qu’il trempe dans de l’huile aux herbes.
– C’est comment chez toi ? ose encore lui demander Nahman. Tu pourrais nous montrer comment on y vit.
– Je ne sais pas, tergiverse Moliwda, le regard légèrement trouble par excès de vin. Il faudrait que tu me jures de garder le secret.
Sans hésiter, Nahman acquiesce d’un mouvement de tête. Cela lui semble évident. Moliwda ajoute du vin dans leurs godets, un cru tellement sombre qu’il laisse sur les lèvres un dépôt violet.
- Chez nous, commence Moliwda en bafouillant, je vais te le faire court, tout est horizontal, la lumière et l’obscurité. Et l’obscurité attaque la lumière, et Dieu crée les hommes pour avoir de l’aide, pour qu’ils défendent la lumière.
Nahman repousse son assiette et lève le regard vers son ami. Moliwda voit ses yeux sombres et profonds. Les bruits de la ripaille s’éloignent d’eux. Nahman parle à voix basse des quatre plus grands paradoxes auxquels il faut réfléchir, sans quoi l’on ne peut pas être un homme pensant.
– D’abord, Dieu, pour créer un monde fini, a dû se restreindre ; mais la part infinie de Dieu, qui n’est en rien engagée dans la création, persiste. N’est-ce pas ? demande-t-il à Moliwda pour s’assurer que celui-ci comprend ce langage.
Moliwda acquiesce, Nahman poursuit en disant que, si l’on admet que la conception du monde créé n’est que l’une du nombre infini d’idées présentes dans l’esprit divin, alors elle est certainement marginale et sans importance. Il se peut que Dieu n’ait même pas remarqué qu’Il créait quelque chose. De nouveau Nahman observe attentivement la réaction de Moliwda. Celui-ci inspire profondément.
– Deuxièmement, poursuit Nahman, la Création, en tant que part infime de l’esprit divin, L’indiffère et Il s’y engage à peine ; du point de vue humain, nous pouvons percevoir cette indifférence comme de l’hostilité.

Moliwda boit son vin d’un trait et repose bruyamment le godet sur la table.
– Troisièmement, poursuit Nahman à voix basse, l’Absolu, parce que infiniment parfait, n’avait aucune raison de créer le monde. Cette partie de Lui qui induisit la création du monde fut obligée de se montrer plus rusée que les autres et elle doit continuer à l’être ; et, nous, nous sommes impliqués dans ses ruses. Tu saisis ? Nous prenons part à la guerre. Et, quatrièmement, en tant qu’Absolu, Dieu a dû se restreindre pour qu’advienne notre monde fini. Pour Lui, notre monde est un exil. Tu comprends ? Pour créer le monde, Dieu Tout-Puissant a dû se rendre faible et soumis comme une femme.
Les deux amis restent assis en silence, épuisés. Le vacarme du festin leur revient aux oreilles, ils entendent la voix de Jakób qui raconte des histoires salaces. Ensuite, Moliwda, complètement ivre, donne longuement des tapes dans le dos de Nahman, jusqu’à susciter des plaisanteries grossières. Il pose alors la tête sur l’épaule de son ami et marmonne dans sa manche :
– Je le sais. »

Olga Tokarczuk, Les livres de Jakób

dimanche 20 juillet 2025

Jancovici peut aller se rhabiller

 « Ils prirent deux jours de congé pour Noël, que Tony passa à dorloter sa petite-fille en pensant aux dominos mortels. Le satellite CryoSat-2 qui mesurait l’épaisseur de la glace polaire transmettait des chiffres affolants ; les modélisations concernant l’Amazonie étaient extrêmement alarmantes et prévoyaient que le poumon de la terre ne serait plus qu’un désert calciné d’ici 2050 ; le Centre for Arctic Gas Hydrate découvrait que de nombreuses émanations de méthane atteignaient désormais la surface des mers ; le permafrost commençait à libérer ses 1 800 milliards de tonnes de carbone en Sibérie, dans le nord du Canada et en Alaska. Ainsi que Tony le martelait depuis vingt ans, les boucles de rétroaction prévues par la théorie des dominos mortels avaient probablement débuté le jour où la planète avait atteint les 365 ppm. À la vitesse où allaient les choses, le taux de carbone dans l’atmosphère grimperait sûrement jusqu’à 685 ppm, et même si la tendance s’inversait et que les émissions cessaient au niveau mondial (un authentique miracle), l’essentiel de la glace terrestre finirait par fondre. Le niveau des mers s’élèverait de soixante-dix mètres. La terre était partie pour connaître une hausse de quatre, cinq, voire six degrés. Il était humainement impossible d’imaginer à quoi ressemblerait alors la planète, et pourtant cela pourrait se produire du vivant de sa petite-fille. Les derniers représentants de la génération à laquelle il appartenait allaient s’éteindre en regardant se déployer le chaos qu’ils avaient ajouté à l’existant. Holly, Catherine et leurs semblables verraient la civilisation entamer une désintégration violente comprenant une dissolution de l’ordre social, des famines de masse, des épidémies et des conflits armés pour l’eau et les terres cultivables. La génération d’Hannah Gail Yu assisterait ensuite à des épisodes climatiques sans précédent. Été après été, la planète se réchaufferait si vite que des États et des régions entiers seraient engloutis par des incendies et des tempêtes de sable, tandis que des torrents d’eau apportés par de gigantesques typhons et microrafales descendantes s’abattraient sur les côtes, détruisant et noyant les principales métropoles. Les populations se trouveraient en proie à des phénomènes inédits dans l’histoire humaine. Plusieurs fois par an, aussi longtemps qu’elle réussirait à survivre, Hannah verrait ces monstruosités biosphériques frapper et massacrer aveuglément. La production de nourriture diminuerait car toute agriculture serait devenue pratiquement impossible, et le réseau trophique se décomposerait à mesure que l’extinction de masse emporterait une espèce après l’autre. Hannah ne serait jamais présidente, danseuse étoile, neuroscientifique ou influenceuse. Comme presque toute sa génération, elle deviendrait une charognarde, probablement cannibale à l’occasion. Sa vie serait dure et violente. Et la génération suivante – à laquelle auraient dû appartenir les arrière-petits-enfants de Tony – serait vraisemblablement la dernière de l’espèce humaine, car la surface de la terre serait devenue trop chaude pour abriter la vie. »

Extrait de "Le Déluge", de Stephen Markley.


jeudi 17 juillet 2025

Le problème de la dette

livre repéré il y a deux étés
chez Ptiluc
(c'est le temps moyen
pour q'une info
atteigne mon cerveau)
« Aujourd’hui, l’agression armée est définie comme un crime contre l’humanité, et les tribunaux internationaux, quand ils sont saisis, condamnent en général les agresseurs à payer des indemnités. L’Allemagne a dû s’acquitter de réparations massives après la Première Guerre mondiale, et l’Irak continue à indemniser le Koweït pour l’invasion de Saddam Hussein en 1990. Mais pour la dette du Tiers Monde, celle de pays comme Madagascar, la Bolivie et les Philippines, le mécanisme semble fonctionner en sens inverse. Les États endettés du Tiers Monde sont presque exclusivement des pays qui, à un moment ou à un autre, ont été agressés et occupés par des puissances européennes – celles-là mêmes, souvent, à qui ils doivent aujourd’hui de l’argent. En 1895, par exemple, la France a envahi Madagascar, dissous le gouvernement de la reine Ranavalona III et déclaré le pays colonie française. L’une des premières initiatives du général Gallieni après la « pacification », comme aimaient à dire les envahisseurs à l’époque, a été d’imposer lourdement la population malgache : elle devait rembourser les coûts de sa propre invasion, mais aussi – les colonies françaises étant tenues d’autofinancer leur budget – assumer ceux de la construction des chemins de fer, routes, ponts, plantations, etc., que le régime colonial français souhaitait construire. On n’a jamais demandé aux contribuables malgaches s’ils voulaient avoir ces chemins de fer, routes, ponts et plantations, et ils n’ont guère pu s’exprimer non plus sur leur localisation ni leurs méthodes de construction1. Bien au contraire : au cours du demi-siècle qui a suivi, l’armée et la police françaises ont massacré un nombre important de Malgaches qui protestaient trop énergiquement contre tout cela (plus d’un demi-million, selon certains rapports, pendant une seule révolte en 1947). Notons bien que Madagascar n’avait jamais infligé de préjudice comparable à la France. Néanmoins, on a dit dès le début au peuple malgache qu’il devait de l’argent à la France, on considère actuellement qu’il doit toujours de l’argent à la France, et le reste du monde estime cette relation parfaitement juste. Quand la « communauté internationale » perçoit un problème moral, c’est en général lorsque le gouvernement malgache lui paraît lent à rembourser ses dettes. »

David Graeber "Dette : 5000 ans d'histoire" 

mercredi 26 mars 2025

privilèges

« Tu n’es pas stupide, Seth. Tu as lu les données, du moins celles que tu es en mesure de comprendre. Tu es donc conscient que la probabilité dépasse les 50 % pour que, d’ici à 2100, la civilisation se soit considérablement dégradée sur tous les plans et que ces altérations provoquent des troubles d’une violence inédite dans la mémoire humaine. » Je regardais alternativement Seth et mes pieds, comme je le fais toujours lorsque je m’échauffe. « Tu es aussi conscient – à condition d’avoir lu attentivement ces livres que tu exhibes si fièrement – qu’il y a une probabilité très réelle pour que le réchauffement climatique anéantisse la majorité de l’humanité, et cela pourrait se produire très bientôt, peut-être même du vivant de l’enfant hypothétique que tu voudrais faire porter par une étudiante endettée et dans le besoin. Et d’où te vient ce désir ? D’une idée floue qui t’a été inculquée par les équipes marketing de grandes entreprises qui ciblent les habitudes consuméristes et culturelles des cadres homosexuels. Tu reproches à la droite son intransigeance, tu méprises les pauvres pour leur ignorance, mais tu ne vaux pas mieux. Tu tiens à conserver tes précieuses valeurs politiques par pure supériorité morale, tout en jouissant des privilèges auxquels tu estimes avoir droit, mais tu es tout aussi égoïste, insouciant et arrogant que les gens du Midwest que tu condamnes à longueur de journée. »

Extrait de : Stephen, Markley. « Le Déluge. » Albin Michel


mardi 5 novembre 2024

corps solides

« Ainsi, il n’y a pas de corps solides. Les choses ne sont pas vraiment des choses, ce sont des processus, en devenir. Elles sont semblables au feu, à la flamme qui, même si elle emprunte une certaine forme, est un processus, un courant de matière, un fleuve. Toutes choses sont des flammes : le feu est le matériau même du monde, et la stabilité apparente des choses tient simplement aux lois, aux mesures auxquelles sont soumis les processus. […] Comment se fait-il qu’une chose puisse changer sans perdre son identité ? Si elle demeure la même, elle ne change pas ; et si elle perd son identité, ce n’est plus cette chose-là qui subit le changement.

Karl POPPER, Conjectures et réfutations. Retour aux présocratiques, 1963 »

Extrait de : Marc Lachièze-Rey. « Voyager dans le temps. » Éditions du Seuil, 2013-10-01.

samedi 2 novembre 2024

Charlie Martel

Malek Boutih, dans le Charlie Hebdo du 11 mars :

« Il ne faut pas oublier une chose : le point de départ de l’intégrisme islamiste, ce ne sont pas les théories des Frères musulmans, mais l’arrivée de la parabole dans les pays arabes. C’est quand, tout d’un coup, la modernité, le sexe, la liberté, tout fait irruption. Et les intégristes se sont sentis débordés.
- La démocratie propose une image que théoriquement ils refusent mais qu’instinctivement ils désirent ?
- Exactement. Le fait de pouvoir avoir cette image mais de ne pas la consommer en même temps, ça rend fou. Et c’est le cœur de tout.»


"Je suis Charlie Martel."
Jean-Marie Le Pen, après l'attentat de 2015

vendredi 27 septembre 2024

à propos des superhéros

« L’idée qu’une personne va sauver les gens du chaos parce que la communauté n’est pas capable de s’occuper d’elle, c’est la définition du fascisme ! »

Michel Gondry, à propos des superhéros, dans le documentaire : Do It Yourself !”

dimanche 11 août 2024

bon pour la planète


« Qu’est-ce qu’il y a de mal à trafiquer l’héroïne ? La blanche est expédiée en Europe ou en Amérique. Imagine un narcissique, un nombriliste qui, sans elle, aurait provoqué une pollution inimaginable en se rendant tous les jours à son travail, probablement seul dans sa voiture, pour y consommer de l’électricité dans un bureau surchauffé… Grâce à nous, il reste chez lui dans les vapes et se fait virer de son boulot. Son travail est sous-traité au Bangladesh, où quelqu’un l’accomplit pour le cinquième de son salaire et, avec ça, nourrit une famille de sept personnes. En plus, ce gars-là va à son bureau à bicyclette – c’est bon pour la planète. »


John Burdett. « Le parrain de Katmandou. » Presses de la Cité

jeudi 11 juillet 2024

addiction à la pensée & lutte contre l’anéantissement

(..) Ces objections nous amènent à poser la question d’une réflexion nouvelle à propos du narcissisme et de prendre le risque de re-fonder quelque peu ce concept. Ce qui serait nécessaire, selon nous, consisterait à reprendre une réflexion à partir de ce que l’on sait actuellement du cerveau comme regroupement organisé, systémique, d’un ensemble de dizaines de milliards de neurones. Nous proposons de partir de là, bien entendu, avec le postulat matérialiste et réaliste sous-jacent que « le cerveau sécrète la pensée, comme le foie sécrète la bile » ; il est l’organe noble qui réalise les opérations de computation nécessaires pour nous dispenser les diverses fonctions cérébrales qui nous font des vivants et des humains qui perçoivent, mémorisent, se représentent le monde, imaginent, rêvent, réfléchissent, inventent, communiquent ; qui agissent de façon rationnelle, ou bien suivant des motivations inconscientes. C’est notre cerveau qui réalise aussi tout un ensemble d’opérations de traitement des informations, des niveaux conscients aux niveaux les plus inconscients. C’est enfin le cerveau qui produit le résultat sans doute le plus intriguant et le plus remarquable de tout ce travail : la conscience. Ce sentiment de conscience, conformément au cogito cartésien, est le tuf sur lequel prend place « l’amour porté à l’image de soi », le narcissisme. La question de la conscience, de son utilité, de sa pertinence, a été maintes fois débattue par les philosophes. Tantôt elle est le noyau primordial de toute vie psychique, tantôt elle est considérée comme un épiphénomène relativement superflu, la plupart de nos comportements et fonctionnements ne nécessitant aucune conscience, celle-ci n’apparaissant que dans un incessant et immédiat après-coup. Par contre, s’il est une fonction qui nécessite par principe la conscience, c’est bien le narcissisme qui dans sa définition même de «conscience de soi» (avant de devenir amour de soi) exige le préalable de la conscience. Il faut donc s’imaginer ces milliards de cellules, les neurones, qui tous ensemble, parviennent à réaliser ce champ psychique d’une conscience. Or, en tant que construction collective, le maintien tout au long de la vie éveillée de cette conscience unifiée ne doit pas être une tâche facile. Nous proposons là l’hypothèse de l’effort pour la constance de la conscience, ce qui signifie que la conscience n’est jamais, pour notre cerveau en tant que système cérébral, une donnée immédiate, naturelle, spontanée, comme « allant de soi », oserions-nous dire. Elle nécessite de la part de l’amas de neurones un travail constant de confirmation permanente de son existence en tant qu’unité.

Le modèle bouddhiste, au point de vue de son travail de discrimination psychologique, explique de façon très claire le développement et la nature du moi, de la conscience, ou « ego ». Au départ (il ne s’agit pas d’une chronologie réelle, mais d’un modèle de pensée présenté suivant une métaphore chronologique), on parle d’un «vide». Ce concept a été très mal traduit et très peu compris des occidentaux. Ils y voient généralement ce vide relatif, qui se distingue d’un plein, comme on dirait «cette bouteille est vide », ou « le vide de l’espace intergalactique ». Il ne s’agit pas du tout de cela dans la pensée bouddhiste. Ce « vide » concerne l’absence de préconceptions, un état « innocent » de la pensée, quelque chose qui doit se rapprocher au mieux de la pensée ouverte d’un très jeune enfant lorsqu’il est surpris et émerveillé dans la rencontre avec quelque chose de nouveau. Ce « vide » sera beaucoup mieux compris si l’on considère qu’il est tout ce qui reste de ténu dans une conscience simple une fois qu’on lui a retiré tous les développements qui vont suivre. Car à partir de ce « vide », comme (autre métaphore) la surface lisse d’une eau parfaitement calme, une sorte de « panique » apparaît spontanément. Cette panique représente une sorte de peur primordiale, peur du « vide », comme si le simple contact de l’esprit avec le monde portait en soi une inquiétude fondamentale. On pourrait traduire aujourd’hui cela en terme de fonction cérébrale de survie. Pour un amas de neurones, le contact avec le monde est une sorte d’irritation imparable. Les neurones sont des cellules hautement sensibles, dédiées à l’excitation et au traitement des informations. C’est à la fois leur force et leur faiblesse que d’être de façon constitutionnelle, pourrait-on dire, hyper- sensibilisées au contact avec le monde. C’est que l’évolution a sélectionné ces cellules hautement sensibles pour garantir la survie totale de l’organisme grâce à des capacités accrues d’appréhension du monde environnant. Une appréhension qui implique une perception-reconnaissance exacte en fonction d’une mémoire, une capacité à la catégorisation, et la première, la plus fondamentale et nécessaire des catégorisations est celle du classement dichotomique entre soi et non-soi. C’est une dualité essentielle qui se joue à tous les niveaux de l’organisme : entre toutes les cellules les systèmes de reconnaissance peptidique, génétique, le système immunitaire HLA, les systèmes de reconnaissance perceptifs du non-soi et de l’autre qui apparaissent très précocement après la naissance, de reconnaissance de soi (schéma corporel, cœnesthésie, image de soi) ; finalement, « Tout être vivant se doit de défendre son intégrité » (Dausset, 1990: 19) et le souci psychologique de narcissisation est le prolongement dans la sphère psychique d’un effort qui commence dès les premiers processus générateurs du vivant.

Pour la pensée bouddhiste, à partir de cette « panique », la surface de l’eau se trouble irrémédiablement et un processus s’enclenche qui prend la forme d’une entité, non pas solide, mais plutôt de quelque chose qui relève de l’illusion, de la croyance en un « soi- même », un « ego ». « L’esprit en proie à la confusion a tendance à se voir comme une chose solide et durable, mais c’est seulement un rassemblement de tendances, d’événements » (Trungpa, 1973: 122). Le moi, qui se croit une unité, n’est qu’un rassemblement d’agrégats, de conditions et de propriétés, qu’il organise en une illusoire unité. Les cinq « agrégats » traditionnellement reconnus par la philosophie bouddhiste sont la forme, la sensation, l’impulsion, le concept et la conscience. Il s’agit de la description d’un processus graduel de construction du moi. L’agrégat de la forme émerge du « vide » à partir de notre « panique ». C’est l’acte fondateur, le point de départ, l’amas organisé de neurones « sent » quelque chose, une forme (quelle qu’elle soit), et au même moment où cette forme se constitue, l’amas se constitue lui-même, de façon encore très embryonnaire, en tant que groupement : il est « cela » qui entre en contact avec la forme et la forme le fait exister tout autant qu’il fait exister la forme (« forme » renvoie bien ici au concept classique de gestalt), c’est une co-création entre l’amas neuronal et le monde, c’est la première enaction (Varela, 1993). Cette première séparation entre soi et le monde ne peut en rester là, l’amas cérébral, tout autant que l’organisme global qui l’héberge, a besoin de solidifier la forme, ce qui solidifiera par la même occasion le soi. Cette consolidation est la sensation, qui capture le monde au travers de qualités (le chaud, le froid, le sonore, le lumineux, le doux, l’espace, le temps, etc.), chacune de ces qualités est le signe fort d’une séparation : « Si je puis sentir cela là-bas, alors je dois être ici » (ibidem: 126).

L’ego poursuit son auto-élaboration avec le troisième agrégat, l’impulsion. Il s’agit de consolider la sensation elle-même en entrant en relation avec elle, selon trois schèmes de réaction encore très primordiaux et simples : être attiré vers, s’éloigner de, ou être indifférent. Si l’on observe des bactéries qui vont vers une source de nourriture, qui s’éloignent d’un agent agressif, ou qui restent statiques dans un milieu neutre, on aura une belle illustration de ce troisième agrégat. De la forme jusqu’à l’impulsion, en passant par la sensation, nous avions affaire à des sortes d’automatismes très simples. Avec le quatrième agrégat, le concept, on entre dans les développements complexes des fonctions interprétatives de l’ego. Le monde, et le soi, seront encore plus séparés et solidifiés, à partir d’un vaste système d’étiquetage intellectuel, d’interprétations, de théories, de croyances, de logiques. C’est à partir de là que le « je » commence à se nommer lui-même, en regard des choses dans le monde qu’il nomme aussi, c’est l’ego en tant qu’il se nomme lui-même « je suis ». Finalement, c’est avec la conscience, le cinquième agrégat, que le moi atteint son plus haut point de solidification, de fascination, mais encore d’illusion, puisque cette impression de solidification, de consistance, n’est que l’effet d’un assemblage. Vous regardez cette image avec une loupe et ne voyez que des points épars de diverses couleurs. Puis, vous vous éloignez de l’image et peu à peu, des points émergent une forme, une sensation, vous reconnaissez quelque chose, quelqu’un, c’est une photo, cela vous fait réagir, et vous pouvez mettre des mots, un nom sur cette photo et laisser des souvenirs vous envahir... Avec la conscience, le moi développe sa pensée, ses théories, ses émotions différenciées, il ne réagit plus seulement, il se comporte, il réfléchit, il spécule, projette, décide, vérifie, contrôle. Mais encore, le moi se met aussi à rêver, rêveries, à fantasmer ! Du fond des processus obscurs que gèrent nos neurones, et que la psychanalyse reconnaît comme l’inconscient, émerge en permanence, durant toute la vie éveillée et durant les phases de sommeil paradoxal, un flot plus ou moins dense et plus ou moins organisé de structures mentales. Cet écoulement de pensées est destiné à nous préserver du risque de la perte de soi. C’est quelque chose que nous pouvons expérimenter chaque jour, une expérience tellement triviale qu’elle passe complètement inaperçue. Il est vraiment incroyable que Freud qui a découvert tant de choses sur notre psychisme, n’ait jamais pu voir toute l’importance de cette hémorragie psychique du quotidien. Comment a-t-il fait pour analyser si finement la « psychopathologie de la vie quotidienne », nos « actes manqués», nos «rêves», nos «fantasmes», et ne pas voir, à aucun moment, le caractère contraignant de la pensée elle-même ? Même la pensée bouddhiste aurait pu l’aider à son époque, Kant, Schopenhauer et Nietzsche étaient déjà passés par là ! Nous pensons que Freud a manqué le train de la contrainte psychique pour deux raisons, l’une générale et culturelle, l’autre tout à fait personnelle. Il est tout d’abord très difficile pour un esprit occidental, surtout s’il est formé à la réflexion scientifique, rationnelle et rigoureuse, de voir la contrainte psychique. En effet, un tel entraînement à la pensée rigoureuse fait que nous ne nous arrêtons jamais, nous restons en permanence à cheval sur le flot mental, nous ne prenons aucune distance avec lui. Aussi nous restons totalement myopes à ce qui devrait autrement nous sauter aux yeux. Pourtant Freud, avec son expérience quotidienne de l’écoute analytique, de « l’attention flottante », qui est très proche de l’expérience méditative orientale, aurait dû s’apercevoir qu’il y avait là un point à étudier, à comprendre. Mais c’est là que nous touchons à la problématique personnelle de Freud, sa « tache aveugle », le point sur lequel a buté son auto-analyse (et qui aurait peut-être été dépassé s’il avait consenti à entreprendre une véritable psychanalyse) : l’addiction. Addicté à la cocaïne, un temps, puis au tabac (et très certainement à la sexualité : « Il m’est apparu que la masturbation est l’“addiction primaire”, et que les autres addictions, pour l’alcool, la morphine, le tabac, etc., ne rentrent dans la vie de l’individu qu’en tant que substitut et remplacement de la masturbation (...) on se demande évidemment si une telle toxicomanie est guérissable, et si l’analyse et la thérapie doivent s’arrêter ici, en se contentant de transformer une hystérie en neurasthénie » – Freud, 1954: lettre de Freud à Fliess en 1897), et refusant d’aborder ces problèmes, tant à son niveau personnel, qu’au niveau de sa théorie, Freud n’a jamais su prendre en compte son addiction à la pensée, celle qui lui a permis le travail acharné de réflexion et d’écriture à l’origine de son œuvre. C’est que le cinquième agrégat, la conscience, correspond bien à une addiction, c’est la première et la plus fondamentale de toutes les addictions : nous sommes tous drogués à notre pensée, à nos fantasmes en général et en particulier à nos fantasmes érotiques. En permanence nous avons besoin de penser, penser, du matin au levé, au soir au couché. C’est l’addiction prototypique de toutes les addictions et c’est d’ailleurs le défaut de penser qui entraîne, comme par compensation, les autres addictions (ou plus assurément, l’addiction, par exemple aux psychotropes, sexuelle, ou aux activités compulsives, sert à éviter l’addiction naturelle à la pensée, comme défense contre les angoisses que génère cette même pensée).

Suivant notre hypothèse de l’effort pour la constance de la conscience, celle-ci n’est donc jamais acquise de façon définitive, elle est le résultat d’un travail incessant pour son maintien. Nos neurones doivent déployer des efforts permanents pour la maintenir coûte que coûte, maintenir cette illusion d’une unité, d’un moi, du narcissisme. C’est que la « perte de conscience » menace en permanence l’amas organisé de neurones, et surtout la perte d’identité, de reconnaissance de soi. Notre moi est fragile, soluble dans la moindre expérience un peu déstabilisante. Les émotions « nous emportent », la colère « nous met hors de soi », un choc peut « nous faire perdre conscience », les modifications de notre apparence (changements pubertaires, de la sénescence, perte d’un bras, d’un sein...) remettent en question notre identité, « nous nous perdons à nous- mêmes ». Nos cinq agrégats, forme, sensation, impulsion, concept, conscience, ne sont pas des niveaux du moi séparés les uns des autres. Ils sont tous reliés entre eux et en permanence nous voyons émerger des formes, apparaître des sensations, nous sommes agités d’impulsions, nous avons besoin de catégoriser notre environnement, de penser, de rêver et de fantasmer.

Ce risque permanent de se perdre à soi-même et la contrainte psychique protectrice qui accompagne ce risque, prennent généralement la figure du désir. Comme l’explique Trungpa (1973: 149) : « Les pensées sont suscitées par l’insatisfaction, duhkha, le sentiment constamment répété que quelque chose manque, est incomplet dans nos vies. (...) A la longue, le seul fait d’être « moi » devient cause d’irritation ». Nous développerons plus loin notre modèle à ce propos, mais retenons déjà que le narcissisme s’érige sur une expérience constante d’insatisfaction. C’est là le résultat du risque de perte d’unité de l’amas neuronal. En disant que l’expérience d’unité n’est jamais acquise de façon définitive, qu’elle nécessite un incessant combat pour la survie, nous sous- entendons aussi que la perte de l’expérience d’unité, la perte du moi, est un sentiment sous-jacent permanent. En même temps que le moi se constitue (avec les cinq agrégats), il doit s’ériger sur le risque de n’être pas, il est un feu fragile, car illusoire, qui doit constamment être entretenu. Aussi, ce danger de perte du moi prend-il figure d’une sorte d’insatisfaction fondamentale. Le moi ne peut pas être satisfait, ce serait illogique. L’illusionniste peut faire son tour de magie, parce qu’il y a un truc ! Le moi ne peut être qu’un moi insatisfait car il est formé à partir de cette tare imparable : son inexistence. Son insatisfaction fondamentale génère en permanence le premier mouvement de toute insatisfaction : le désir. Et c’est à partir du désir, des désirs générés en permanence, que se constitue le flot mental des fantasmes (et des fantasmes érotiques).

Dans cette lutte contre l’anéantissement et pour le maintien d’une intégrité, le moi possède un allier de choix : l’autre. En effet, dans la recherche d’une confirmation de soi, autrui présente un très grand intérêt : il est perçu comme image spéculaire de soi et une bonne partie du narcissisme s’élabore sur une identification à l’autre ; d’autre part, l’autre s’adresse à nous comme si nous étions une unité, une personne, un moi, ce qui tend à renforcer, là encore, l’illusion de ce moi. Cependant, en troisième lieu, l’autre représente aussi une source inestimable de stimulations, il est le fantôme intime de toute notre vie psychique, nourrissant les désirs de l’ego, il garantit ainsi sa survie. Nous verrons qu’une bonne part des « troubles du moi » provient de l’interférence produite par ce besoin de l’autre, quand l’autre ne sert plus à confirmer le moi, mais lui fait courir le risque de se perdre lui-même. 

Eric Loonis, "La Structure Des Fantasmes Erotiques"



dimanche 12 mai 2024

Faire faire

« L’innovation dans le capitalisme consiste 95 fois sur 100 à décalquer dans tous les champs d’activité possibles une poussée anthropologique de fond : passer de la puissance au pouvoir. Autrement dit : de la capacité humaine à faire, directement et sans interface, avec ses seules facultés cérébrales, physiologiques et créatives, à la possibilité de faire faire, qui est une définition primaire du pouvoir. Faire faire à l’appli, au smartphone, aux algos, aux IA, aux robots… Comme on fait faire aux femmes, aux Arabes, aux esclaves, aux petites mains, aux sans-papiers sur leur vélo, ou tout bonnement à ses subordonnés hiérarchiques, ce qu’on ne veut pas condescendre à faire : ici se tient le pouvoir. »

Extrait de : Damasio, Alain. « Vallée du silicium. »

samedi 20 avril 2024

Non à la pub onirique

extrait de mail
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salut camarade
on peut dire que ta campagne promotionnelle d’hier sous forme de suggestions de lecture a touché sa cible :
cette nuit, j’ai rêvé que je me rendais dans une librairie alternative pour y acheter urgemment le livre des Soulèvements de la Terre ainsi que le dernier Damasio.
Chapeau.
Ca me contraint quasiment à m’y rendre en vrai ce matin.
Par contre, la librairie onirique était tellement alternative qu’aucun rayon n’était rangé ni étiqueté par une signalétique quelconque.
Par voie de conséquence (pour éviter le « du coup » pandémoniaque), j’ai pas mal galéré pour trouver le Damasio, qui paraissait directement en poche chez « J’ai lu », et pas dans leur ancienne collection ésotérique l’aventure mystérieuse.
Dans mon rêve, je me résolvais la mort dans l’âme à demander conseil à une vendeuse (on sait que si Moïse a erré 40 ans dans le désert, c’est parce que les hommes ont horreur de demander leur chemin, selon cette blague sexiste qui se moque enfin des mecs)
Bref.
Je connaissais l’autorisation récente de la publicité pour le livre à la télévision, mais je vais appeler Darmanin pour demander l’abrogation du décret sur les spots de pub pendant les rêves, craignant une fragilisation du secteur et un appauvrissement de la création onirique.
Ou alors, j’écris un nouvel épisode de black mirror sur ce thème ?
J’ai bien peur que Philip K.Dick ait déjà tout dit.
a+
K.

P.S. : un article du Gorafi vraiment hilarant sur Darmanin (d'habitude je ne parcours que leurs titres) que j'ai lu à mon fils hier soir avant de lui faire subir Dune 2, mais il a mieux encaissé que moi, étant de constitution plus robuste. Salauds de jeunes !

https://www.legorafi.fr/2024/04/18/gerald-darmanin-annonce-le-lancement-dun-plan-places-nettes-xxl-turbo-alpha-triple-impact/



En 1972, Lobsang Rampa a prophétisé dans cet ouvrage l’émergence future du local syndical au sous-sol de l'entreprise (que nous appelons familièrement entre nous la grotte de la CGT), mais il n’a rencontré qu’incrédulité et moqueries.

jeudi 18 avril 2024

Les biens de ce monde

(extrait de mail)
Un jour, un auteur français de sciences humaines pas du tout universitaire que j’étudiais en catimini à la fac de psycho à Montpellier a dit ceci :

"Tous, tant que nous sommes, avons en nous “quelque chose” qui veut toutes les femmes et tous les biens de ce monde : c’est la règle chez les primates, et elle repose sur des instincts qui s’éternisent chez les humains."

J'ai mis 40 ans à admettre qu'il avait raison, en le vérifiant dans ma chair, et à en accepter les conséquences : me protéger, et protéger les miens, de ce défaut de conception de l'être humain mâle soit-disant « adulte ». (y’a qu’à voir ce qu’on appelait autrefois les « films pour adultes », qui s’adressent en fait à des demeurés émotionnels)
Je crois en avoir délivré une version plus légère dans mon autoportrait en pornographe éclairé : "dieu nous a donné une bite et un cerveau, mais pas assez de sang pour irriguer les deux en même temps"

jeudi 11 avril 2024

crétinisation

Je considère la télévision, le cinéma, la presse, le journalisme comme de grands moyens modernes d'avilissement et de crétinisation des foules. Mais j'adore les utiliser parce que au point de vue pratique, après il y a plus de gens qui courent après Dali, et les tableaux se vendent plus cher.

Salvador Dali, "l'oeil du cyclone 44 > Dali à la télé, vers 14'32''

Il y a plusieurs pays dans mon pays. « Vous, les Américains », ça ne veut rien dire. C’est un peu comme « Vous, les Européens »… Si vous habitez dans le Sud, vous pouvez avoir autant en commun avec un New-Yorkais qu’avec un Norvégien ! Moi, je viens de la côte : côte Est hier, côte Ouest aujourd’hui. En roulant une heure, je peux me retrouver dans les régions conservatrices de la Californie. Il n’y en a pas beaucoup mais elles existent ! Malgré toutes ces différences, il y a quand même un abrutissement incroyable qui traverse tout le pays. Et qui a commencé à partir du moment où il est devenu possible d’avoir des chaînes de télévision qui ne diffusent qu’un seul point de vue. C’était littéralement interdit par la loi autrefois. Maintenant, il y a des gens — à droite comme à gauche, d’ailleurs — qui se contentent d’aller chercher les informations qui confirment tous leurs préjugés. Et cela dure depuis une génération. On voit le résultat. Je ne sais pas où ça nous mènera… Pour être honnête avec vous, j’ai très peur pour mes enfants. J’aimerais voir mon pays retrouver la raison.

Dennis Lehane, dans le Télérama de la semaine dernière

mercredi 11 octobre 2023

Lasagnes psychologiques

Nous sommes des lasagnes psychologiques : trois types d’identités (intérieure, familiale, sociétale). Je possède donc à la fois le passé de mes ancêtres, mais je suis également victime de mon temps. Au-delà de l’aspect psychologique personnel, de la transmission des fautes des parents à leurs enfants et du besoin de résilience des enfants aux besoins, souffrances et manques de leurs parents, chaque génération est traversée par l’histoire de son « pays » : pas seulement les batailles, mais également les mouvements sociaux, les évolutions, et principalement celles de la famille dont le concept est fondamentalement remis en question lors du XXe siècle. Je suis persuadé que nous ne pouvons donc observer ou analyser notre époque qu’à travers notre prisme personnel et actuel. Le regard que nous portons sur l’Histoire demeure donc multi-couches. Même si des historiens tentent d’en donner une version définitive, il est important de garder à l’esprit que rien n’est simple.

Bernard Hislaire, dit Yslaire // Interview donnée à actuabd

https://www.actuabd.com/Yslaire-la-bouleversante-suite-de-Sambre

lundi 22 mai 2023

Incertain

"« Le plaisir est incertain, le malheur est incertain, l’amour est incertain, la tranquillité est incertaine, l’agitation est incertaine. Tout, absolument tout, est incertain. Donc, quoi qu’il arrive, si nous comprenons cela, nous ne sommes piégés par rien. »

Ajahn Chah. « Tout apparaît, tout disparaît : Enseignements sur l'impermanence et la fin de la souffrance.»

mardi 9 mai 2023

L’effet de la musique

« L’effet de la musique n’est pas d’exprimer quelque chose mais de n’exprimer qu’elle-même, a répété Stravinsky. Une telle opinion n’a pas manqué d’indigner, d’abord certains musiciens, ensuite les amateurs de musique qui montraient par là qu’ils ne comprenaient pas ce que voulait dire Stravinsky, et qu’ils ne comprenaient pas davantage la musique ; qu’ils pouvaient sans doute apprécier en raison de motivations extérieures à elle (souvenirs, associations d’idées, échos d’émotions profondément éprouvées mais encore une fois étrangères à ce qu’il y a de précisément émouvant dans la musique). « La musique provoque des sentiments, elle ne les exprime pas », écrit justement Alexandre Tansman, compositeur, grand ami et meilleur biographe de Stravinsky. Quels sont alors les sentiments ou émotions qu’elle pourrait susciter ? Ce sont évidemment tous les sentiments ou émotions qu’elle fait naître, à l’exception de tous ceux que l’exercice ordinaire de la vie suffit à évoquer. Mais les émotions de la vie n’ont rien à voir avec les émotions inspirées par la musique. Schopenhauer, le premier philosophe à avoir pris la musique au sérieux, est aussi le premier à avoir dit la différence absolue qu’il y avait entre l’émotion musicale et toute autre forme d’émotion : il est très difficile, voire impossible, d’expliquer le rapport qu’il y a entre la musique et le monde. »

Clément Rosset. « L'endroit du paradis. » iBooks.