Dans le dernier paragraphe du chapitre 29 (« Destinée et fatalité dans le Siam moderne ») du volume 3 de sa magistrale Thai Culture Explained, le professeur Beckendorf se montre presque thaï, à la façon dont il verse sans crier gare dans la métaphysique :
« Alors que l'Occidental moyen fait tout ce qu'il peut pour diriger et maîtriser sa destinée, le Thaï d'aujourd'hui n'est pas plus près d'adopter cette attitude face à la vie que ne l'étaient ses ancêtres il y a un siècle ou deux. S'il est un aspect de la psychologie du Thaï moderne qui continue de refléter une acceptation totale de la doctrine bouddhiste du karma (si proche du fatalisme islamique souvent traduit par l'expression "c'est écrit"), c'est bien la conviction que que serà serà.
Au premier abord, un tel fatalisme peut sembler arriéré, voire pervers, compte tenu de l'étonnant arsenal dont disposent maintenant les Occidentaux contre les vicissitudes de la vie. Mais quiconque passe beaucoup de temps dans ce royaume ne tarde pas à remettre en question la sagesse et même la sincérité des attitudes occidentales. Lorsqu'il a payé la pension alimentaire de son ex-femme, acheté la maison et la voiture que sa position sociale l'oblige à acquérir conformément aux règles de sa tribu, renoncé à l'alcool, au tabac, à la drogue et aux aventures extra-conjugales, consacré ses deux semaines de vacances à quelque randonnée extrême (sans danger véritable) pour tremper son caractère, appris à faire très attention à ce qu'il dit et fait en présence des membres du sexe opposé, l'Occidental moyen peut se demander, et il le fait souvent, où sa vie l'a mené. Il peut aussi, et c'est le cas invariablement, se sentir floué quand il s'aperçoit existentiellement que toutes ces précautions, toutes ces assurances ne le protègent nullement de l'incendie, des cambriolages, des inondations, des tremblements de terre, des tornades, des risques de licenciement et du terrorisme, ne l'empêchent pas de voir son épouse déserter le domicile conjugal précipitamment avec les enfants, la voiture et toutes les économies du ménage.
Dans un pays sans filets de sécurité comme la Thaïlande, on risque certes d'être terrassé brutalement par un accident ou une maladie, alors qu'un Occidental se sera acquis une certaine protection, mais entre les cahots un Thaï continue de vivre sa vie dans un état de sublime insouciance.
L'Occidental fait généralement observer que le Thaï vit dans un paradis de dupes.
Peut-être, mais le Thaï n'est-il pas fondé à rétorquer que l'Occidental s'est construit un enfer de dupes ? »
John Burdett. « Bangkok 8. »
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