dimanche 19 mars 2023

Bouddhisme et dépression

 Par Sherlock, mardi 30 janvier 2007 à 08:13 - Entomologie humaine

 Récemment le Lévrier était préoccupé par un sujet dont je vais maladroitement tenter de parler. C'est le fait que ce qui amène les gens au bouddhisme, ce n'est pas la joie qu'on y perçoit. D'ailleurs si l'on faisait un sondage pour demander aux bouddhistes la façon dont ils perçoivent le bouddhisme, à mon avis, on retrouverait plus souvent sérénité et austérité que joie ou béatitude. En conséquence de quoi ce qui a attiré les gens vers le bouddhisme, c'est plus probablement cette austérité perçue que la perspective de la grande béatitude simultanée. Certes, il y a le désir d'être heureux, mais en passant par des études austères, difficiles... comme si la joie pouvait être le résultat de 10 ou 20 années passées à la Trappe, avec l'esprit sinistre qui lui correspond. D'après le Lévrier, le problème vient de ce qu'il y a chez les occidentaux une espèce de base culturelle de culpabilité et de détestation de soi qui n'existe pas chez les orientaux (et que je ne perçois pas en effet chez mon traiteur chinois). Les chinois et les tibétains, eux, ils savent ce qu'ils veulent : gagner plein de pognon, réussir dans la vie, être admirés et ça, pour eux, c'est BIEN. Donc, quand on leur dit que ça n'est pas bien, mais que c'est futile, et qu'il faut s'en détourner, cela ne fait que produire un sain rééquilibrage. Maintenant, prenez un français moyen qui pense qu'il est un nullos, qu'il est coupable de la dépression de sa vieille mère, que la vie de toutes manières ne l'intéresse pas parce que c'est de la merde, et que lui même c'est de la merde aussi, et dites-lui de se détourner de cela. Le résultat sera la dépression. Ce type n'a déjà aucune vitalité à la base, le bouddhisme ne fera que lui enlever le peu qui lui reste. D'où cette atmosphère sinistre des centres bouddhistes. Nous sommes les bénéficiaires de tout ce joyeux héritage judéo-chrétien comme quoi la vie doit être difficile, qu'il faut se punir parce que par définition nous sommes mauvais, et ainsi de suite.

Je n'exagère pas. Cette discussion était partie d'une phrase du dalai-lama, comme quoi il avait mis très longtemps à comprendre que les occidentaux se détestaient, et dans quel état cette détestation de soi les plongeait. Car ça ne lui serait même pas venu à l'esprit que ça pouvait exister. Ce qui explique aussi que Chepa se marre quand quelqu'un lui dit "je ne m'aime pas". Il répond rigolant "mais si, tu t'aimes, tu joues du piano, tu manges bien"... Il ne s'agit pas de cela évidemment. Un tibétain n'a pas d'arrière-pensée. Quand il mange bien, en effet, c'est qu'il s'aime. Tout va bien pour lui. Un français, quand il mange bien, pour commencer on lui a dit au catéchisme que le plaisir était illicite et qu'il fallait vivre une existence austère. Donc déjà, il se sent coupable. Il n'est pas en train de gagner sa vie à la sueur de son front. Il n'est pas à l'hôpital en train d'aider les mourants. En plus il pense à tous les enfants qui meurent de faim dans le monde. Et quand il essaie de prendre l'air content de lui, on voit que c'est complètement faux. Les plaisirs de la vie n'ont jamais été permis pour lui. Alors si en plus on lui dit qu'ils sont illusoires, il va déprimer, et la dépression n'est pas du tout un état correct pour pratiquer. Donc sa pratique ne donnera pas de résultat, et il va déprimer encore plus et ainsi de suite. Alors que le tibétain, lui, il pratique sur une vitalité. La pratique ne fait que détourner son énergie vers des buts plus nobles que l'accumulation d'argent. Mais quand on n'a déjà plus d'énergie parce que rien ne vaut la peine ? Sur quoi va-t-on pratiquer ? Sur le néant ? Sur le désir de se punir ?

Bien sûr, tout le monde n'est pas comme ça, il y a des gens qui ont une vie sympa (dans leur perception) et qui en sont contents. Mais le problème, c'est que ceux qui sont attirés par le bouddhisme sont principalement les dépressifs, les coupables, ceux qui pensent que la vie ne vaut rien et qu'eux-mêmes ne valent rien, ceux qui veulent aller s'enterrer dans le froid et la neige. Ils vont vers le bouddhisme car ils pensent que le bouddhisme dit la même chose qu'eux, qu'en effet la vie et eux-mêmes ne valent rien. Mais la réalité c'est que le bouddhisme dit cela à des gens qui ont une haute estime d'eux-mêmes. Un jour, un grand lama disait à un traducteur :"Cessez de vous sous-estimer, et de croire que vous ne valez rien !". Il avait perçu cette tendance, assez marquée chez cette personne au demeurant.

Le problème, c'est maintenant d'arriver à gérer l'orgueil bien réel qui résulte du sentiment de sa propre nullité, car plus une personne se trouve nulle, plus en général est aura développé de l'orgueil par-dessus pour arriver à survivre. Et que faire aussi de cette énorme tendance à la distraction qui est la fuite de tout cela ? Un chinois qui travaille 14h par jour dans son magasin fera un bon pratiquant si on arrive à le détourner de son compte en banque. Mais un gars qui passe 14h par jour devant un jeu video ?

L'esprit occidental est vraiment compliqué. 

(...) Bref, le dépressif chronique (au moins 90% du public des sanghas), manquant d'identifier la Joie comme élément fondamental de la pratique, est capable de tout foirer en s'imaginant réussir. Donc, la conclusion de cela, c'est de dire que si ce qui vous a amené au bouddhisme, c'est le dégoût de la vie, la culpabilité, et l'auto-punition, il y a quelque chose à réviser d'urgence. Il qu'il ne s'agit pas simplement de devenir "content", car tout le monde prétend être content tout en étant extrêmement mécontent, mais d'identifier le mécanisme qui interdit d'être heureux. Mécanisme qui s'apparente à un coffre-fort de la Banque de France (avec la Joie à l'intérieur). "

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