lundi 27 février 2023

Le petit chimiste

Hofmann est revenu de son voyage convaincu que le LSD l’avait trouvé – et non l’inverse – et que cette substance pourrait jouer un rôle majeur en médecine, en particulier en psychiatrie, pour la mise au point de modèles d’étude de la schizophrénie. Il ne lui est jamais venu à l’esprit que son «enfant terrible», comme il l’appellera par la suite, deviendrait également une «drogue douce» et un stupéfiant.
Lorsque la jeunesse a adopté le LSD dans les années 1960, Hofmann y a vu une réaction normale face au vide engendré par ce qu’il a décrit comme une société matérialiste, industrialisée et spirituellement appauvrie, privée de lien avec la nature. Ce maître de la chimie (sans doute la plus matérialiste des disciplines) est devenu convaincu, après son expérience du LSD-25, que la molécule présentait un réel potentiel thérapeutique pour notre civilisation, mais qu’elle pouvait également lui servir de baume spirituel, en fissurant «l’édifice de la rationalité matérialiste» (selon les termes de son ami et traducteur Jonathan Ott).
Comme beaucoup d’autres après lui, le brillant chimiste est devenu une sorte de mystique prêchant l’évangile d’une renaissance spirituelle et d’une réconciliation avec la nature. Lorsqu’on lui a offert un bouquet de roses, en avril 2006, à Bâle, Hofmann a déclaré à l’assemblée que «le sentiment d’être une créature coexistant avec tous les autres êtres vivants [devait] pénétrer pleinement notre conscience et compenser les évolutions technologiques matérialistes et insensées, afin de nous permettre de revenir aux roses, aux fleurs et à la nature, où se trouve notre place». Ce discours a suscité un tonnerre d’applaudissements.
Un sceptique n’aurait sans doute pas eu tort de considérer le petit homme présent sur scène comme le fondateur d’une religion, avec le public pour congrégation. Mais si tel avait été le cas, cette religion aurait présenté une différence notable avec celles qui l’ont précédée. Typiquement, seuls le fondateur et quelques-uns de ses premiers disciples sont en mesure de revendiquer l’autorité qui découle d’une expérience directe du sacré. Pour ceux qui leur succèdent, il ne reste que la maigre consolation des histoires, des rites symboliques et de la foi. Le temps atténue la puissance originelle de l’expérience, qui se déroule désormais par l’intermédiaire des prêtres. Mais le culte des psychédéliques offre une promesse extraordinaire, celle pour quiconque d’accéder, à tout moment, à l’expérience religieuse originelle grâce au sacrement, qui se trouve être une molécule psychoactive. La foi devient dès lors superflue.

Michael Pollan, « Voyage aux confins de l'esprit. »

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