lundi 6 mars 2023

d'autres pièces


vu à l’entrée de l’expo Vivian Maier
(on est obligé de passer dessous pour pénétrer dans l’expo)
en novembre 2021
(on san fou)

dimanche 5 mars 2023

Vers la 5D

- Je trouve l’IRL (In Real Life => le réel) bien plus enrichissant que le virtuel. Même avec mes connasses dépressives alcooliques.

- C'est le point clé de notre incompréhension finalement.
En fait tu confonds le virtuel avec l'imaginaire (ou l'imaginal, disons).
En effet, le virtuel (jeux videos, mais même les films, en somme un pseudo-réel sur écran ou même en 3D qui se donne à voir et à entendre, et bientôt à sentir) constitue un appauvrissement dramatique de l'IRL.
Mais imagine maintenant une réalité dont l'IRL constitue un appauvrissement dramatique ?

Nous avons donc :

2D : monde virtuel
3D : IRL
4D : monde imaginal
5D : monde intelligible

Tu ne peux évidemment imaginer ni 4D ni 5D, mais tu peux intellectuellement les concevoir, en reportant la différence entre 3D et 2D. Sauf qu'il va te manquer l'aspect qualitatif et surtout l'aspect jouissif.

Quand tu t'étonnes que je ne voie pas les gens IRL, c'est comme si je m'étonnais que tu préfères tes réunions AA à des jeux vidéos. Voire à du tetris. Comparé au monde intelligible, une réunion avec des gens, genre AA ou repas entre potes, c'est du tetris. Si pendant la réunion je peux mettre mon mp3 et fermer les yeux, déjà ça va mieux, mais dans ce cas, autant ne pas y aller non ? Pour le moment je ne suis pas capable de superposer le monde intelligible et les réunions. Quand je vais me promener avec L**, je lui demande de parler le moins possible (ce qui n'est vraiment pas facile), et maintenant je mets mon mp3 à demi, sinon ma promenade est foutue.

Je sais que ce que je dis est totalement incompréhensible, et d'ailleurs c'est incompréhensible à tout le monde, parce que personne ne connaît ça, sauf quelques très rares personnes. Il en a d'ailleurs résulté une attaque générale contre moi dans le stage "soufisme et yoga" où j'étais allée il y a 2 ans. Les gens n'avaient aucun intérêt pour moi et ils l'ont bien senti. On m'a dit que j'étais asociale, que je n'avais pas d'amis, etc, je leur ai répondu que j'avais des relations infiniment plus enrichissantes que ce qu'ils considéraient comme de l'amitié, et ils étaient totalement furieux. Mais c'était la stricte réalité. Relis Thérèse d'Avila et sa relation à Jésus. Celle que j'ai avec mes êtres intérieurs n'en est pas à ce point, mais c'est à mi-chemin à peu près.

Ensuite, il se trouve qu'il est possible de projeter ce type de relation à travers l'écrit (avec le visuel et la parlotte c'est bien plus difficile, disons que c'est un autre niveau de pratique), et il se trouve aussi qu'il y a des personnes sur qui cela a un effet bien réel. C'est pour cette raison qu'il y a des ermites qui refusaient de voir les gens, tout en écrivant beaucoup. Si tu pouvais projeter une telle chose sur ta femme (pour ne donner qu'un exemple), même de façon intermittente, votre vie en serait complètement changée. Ce n'est pas ignorer les gens, c'est les considérer au niveau de leur âme, et non pas au niveau de leur être matériel. S'ils y sont sensibles, ça fait de l'effet. Sinon, non.

Depuis le temps qu'on se connaît, tu devrais me connaître... je crois avoir répété des dizaines de fois que j'ai eu un grand nombre d'amis intimes, au moins une vingtaine, un type d'amitié que la plupart des gens ne connaissent pas une seule fois dans leur vie (des gens à qui tu téléphones presque tous les jours ou que tu vois presque tous les jours pendant une période quand même assez longue, parfois c'était 4h au téléphone). Quand je dis que ce n'est rien comparé à ce que j'ai maintenant, je sais de quoi je parle. Je peux également dire que si les amitiés d'enfance laissent de meilleurs souvenirs, c'est parce qu'il s'y mêle une part de projection imaginale, une faculté qui se perd à l'âge adulte.

F. (circa 2015)


samedi 4 mars 2023

photocopieuse

"- On fait un boulot bizarre, quand même. Tu trouves pas ?
- Je veux pas jouer aux devinettes, tu dis ton truc ou tu te tais...Ch'uis fatigué...
- J'dis juste qu'on fait un boulot bizarre. On interroge les gens, on fouille dans leurs affaires, on écoute leurs conversations. Et on écrit des rapports. Des rapports, des rapports...
- C'est ça...
- On combat le mal en rédigeant des rapports.
- Nan, on combat rien du tout. On n'a pas une piste solide, pas une preuve, et on n'est même pas foutus d'avoir une photocopieuse qui marche.
- Ben c'est le combat du bien contre le mal, mais avec une  photocopieuse qui marche pas.

                              Bouli Lanners et Bastien Bouillon, "La nuit du 12", vers 00:57:47:

vendredi 3 mars 2023

la loi de Moore

Dans Jérusalem, un démon explique la vie à un jeune bambin récemment décédé :

« Seule la vie existe, en fait. La mort est une illusion de perspective qui afflige la troisième dimension. Ce n’est que dans le monde mortel à trois côtés qu’on considère le temps comme quelque chose qui passe et disparaît derrière toi dans le néant. Tu penses au temps comme à quelque chose qui sera un jour dépassé, fini. Mais vu depuis un plan supérieur, le temps n’est rien de plus qu’une autre distance, de même que la hauteur, la largeur ou la profondeur. Tout dans l’univers de l’espace et du temps se produit en même temps, tout arrive en un glorieux super-instant avec l’aube des temps d’un côté et la fin des temps de l’autre. Toutes les minutes dans l’intervalle, y compris celles qui marquent les décennies de ta durée de vie, sont suspendues dans la grande bulle immuable de l’existence pour l’éternité.

« Imagine ta vie comme un livre, une chose solide dont la dernière ligne est déjà écrite depuis que tu l’as ouvert à la première page. Ta conscience progresse tout au long du récit depuis le début jusqu’à la fin, et tu es de plus en plus absorbé dans l’illusion des événements qui se déroulent et du temps qui passe à mesure que ces choses sont vécues par les personnages du drame. En réalité, toutefois, tous les mots qui composent le texte sont fixés sur la page, et les pages reliées dans leur ordre immuable. Rien dans le livre ne change ni ne se développe. Rien dans le livre ne bouge à part l’esprit du lecteur qui se déplace de chapitre en chapitre. Quand l’histoire est finie et que le livre est refermé, il ne prend pas feu aussitôt. Les personnages de l’histoire et leurs revers de fortune ne disparaissent pas sans laisser de trace comme s’ils n’avaient pas été écrits. Toutes les phrases qui les décrivent sont encore là dans le volume solide et inchangé, et tu as tout loisir de relire l’ouvrage aussi souvent que ça te plaît.

« Il en va de même pour la vie. Ma foi, chaque seconde de vie est un paragraphe que tu reliras un nombre incalculable de fois et dans lequel tu trouveras de nouvelles significations, même si la formulation reste la même. Chaque épisode demeure inchangé à sa place fixe dans le texte, et chaque moment dure donc éternellement. Des moments de béatitude extrême et des moments de profond désarroi, suspendus dans l’ambre infini du temps, tout le paradis ou l’enfer dont le premier prédicateur venu peut rêver. Chaque jour et chaque acte est éternel, petit. Vis-les de façon à pouvoir vivre avec eux éternellement. »

Alan Moore, "Jerusalem"






jeudi 2 mars 2023

une petite amie cambodgienne

« — Vous avez l’air juif, m’a-t-elle dit.
— Il paraît. Mais je veux que vous sachiez que je ne le suis pas.
— OK. Votre livre sur Greaves est incroyable.

C’est elle qui était incroyable. Elle était tous les personnages afro-américains positifs qu’on voit à la télé réunis en un seul, des personnages créés pour combattre les stéréotypes noirs négatifs qu’on voit tous les jours aux infos. Elle s’exprimait bien, elle était instruite, athlétique, belle, charmante, extrêmement sophistiquée. Et je me disais que j’avais une chance avec elle. Ça ferait un bien fou à mon amour-propre, ainsi qu’à ma position dans la communauté universitaire. Je lui ai proposé de prendre un café. Non que je la visse comme un accessoire ou une chose à posséder ou une ligne de plus dans mon CV. Bon, tout ça jouait bien sûr, mais je ne voulais pas l’admettre. Je me suis promis de travailler sur ces réflexions désagréables, de les chasser. Je savais qu’elles étaient honteuses. Et je savais qu’elles ne résumaient pas ma pensée. J’allais donc les garder secrètes et me concentrer plutôt sur l’attraction sincère que je ressentais pour cette femme. La nouveauté de son afro-américanité finirait par diminuer, et je savais qu’il n’y aurait plus qu’un pur amour pour elle, une femme de n’importe quelle couleur, d’aucune couleur : une femme claire. Même si je comprenais que mes sentiments à l’égard des femmes n’étaient pas purs en général. Le charme était un facteur déterminant, ce qui est mal. Et bien sûr les caractéristiques exotiques raciales, culturelles ou nationales m’attiraient. Je serais aussi excité d’exhiber une petite amie cambodgienne ou maorie ou française ou islandaise ou mexicaine ou inuit qu’une petite amie afro-américaine. Presque. C’était là quelque chose que je devais m’efforcer de mieux comprendre à mon sujet. Je devais combattre mes instincts à chaque instant. »

Extrait de : Kaufman, Charlie. « Antkind » Éditions du sous-sol.

mercredi 1 mars 2023

enfer de dupes

Dans le dernier paragraphe du chapitre 29 (« Destinée et fatalité dans le Siam moderne ») du volume 3 de sa magistrale Thai Culture Explained, le professeur Beckendorf se montre presque thaï, à la façon dont il verse sans crier gare dans la métaphysique :

« Alors que l'Occidental moyen fait tout ce qu'il peut pour diriger et maîtriser sa destinée, le Thaï d'aujourd'hui n'est pas plus près d'adopter cette attitude face à la vie que ne l'étaient ses ancêtres il y a un siècle ou deux. S'il est un aspect de la psychologie du Thaï moderne qui continue de refléter une acceptation totale de la doctrine bouddhiste du karma (si proche du fatalisme islamique souvent traduit par l'expression "c'est écrit"), c'est bien la conviction que que serà serà.
Au premier abord, un tel fatalisme peut sembler arriéré, voire pervers, compte tenu de l'étonnant arsenal dont disposent maintenant les Occidentaux contre les vicissitudes de la vie. Mais quiconque passe beaucoup de temps dans ce royaume ne tarde pas à remettre en question la sagesse et même la sincérité des attitudes occidentales. Lorsqu'il a payé la pension alimentaire de son ex-femme, acheté la maison et la voiture que sa position sociale l'oblige à acquérir conformément aux règles de sa tribu, renoncé à l'alcool, au tabac, à la drogue et aux aventures extra-conjugales, consacré ses deux semaines de vacances à quelque randonnée extrême (sans danger véritable) pour tremper son caractère, appris à faire très attention à ce qu'il dit et fait en présence des membres du sexe opposé, l'Occidental moyen peut se demander, et il le fait souvent, où sa vie l'a mené. Il peut aussi, et c'est le cas invariablement, se sentir floué quand il s'aperçoit existentiellement que toutes ces précautions, toutes ces assurances ne le protègent nullement de l'incendie, des cambriolages, des inondations, des tremblements de terre, des tornades, des risques de licenciement et du terrorisme, ne l'empêchent pas de voir son épouse déserter le domicile conjugal précipitamment avec les enfants, la voiture et toutes les économies du ménage.
Dans un pays sans filets de sécurité comme la Thaïlande, on risque certes d'être terrassé brutalement par un accident ou une maladie, alors qu'un Occidental se sera acquis une certaine protection, mais entre les cahots un Thaï continue de vivre sa vie dans un état de sublime insouciance.
L'Occidental fait généralement observer que le Thaï vit dans un paradis de dupes.
Peut-être, mais le Thaï n'est-il pas fondé à rétorquer que l'Occidental s'est construit un enfer de dupes ? »
John Burdett. « Bangkok 8. »