mardi 5 novembre 2024

corps solides

« Ainsi, il n’y a pas de corps solides. Les choses ne sont pas vraiment des choses, ce sont des processus, en devenir. Elles sont semblables au feu, à la flamme qui, même si elle emprunte une certaine forme, est un processus, un courant de matière, un fleuve. Toutes choses sont des flammes : le feu est le matériau même du monde, et la stabilité apparente des choses tient simplement aux lois, aux mesures auxquelles sont soumis les processus. […] Comment se fait-il qu’une chose puisse changer sans perdre son identité ? Si elle demeure la même, elle ne change pas ; et si elle perd son identité, ce n’est plus cette chose-là qui subit le changement.

Karl POPPER, Conjectures et réfutations. Retour aux présocratiques, 1963 »

Extrait de : Marc Lachièze-Rey. « Voyager dans le temps. » Éditions du Seuil, 2013-10-01.

samedi 2 novembre 2024

Charlie Martel

Malek Boutih, dans le Charlie Hebdo du 11 mars :

« Il ne faut pas oublier une chose : le point de départ de l’intégrisme islamiste, ce ne sont pas les théories des Frères musulmans, mais l’arrivée de la parabole dans les pays arabes. C’est quand, tout d’un coup, la modernité, le sexe, la liberté, tout fait irruption. Et les intégristes se sont sentis débordés.
- La démocratie propose une image que théoriquement ils refusent mais qu’instinctivement ils désirent ?
- Exactement. Le fait de pouvoir avoir cette image mais de ne pas la consommer en même temps, ça rend fou. Et c’est le cœur de tout.»


"Je suis Charlie Martel."
Jean-Marie Le Pen, après l'attentat de 2015

lundi 28 octobre 2024

Cécité

Charles Enderlin, journaliste : « Pendant des décennies, les Israéliens ont ignoré ce qui se disait dans les mosquées à Gaza »

L’ancien correspondant de France 2 en Israël revient, dans un entretien au « Monde », sur l’implantation de l’islam radical à Gaza et sur la place du religieux dans le conflit israélo-palestinien : « les fondamentalismes, juif et musulman, semblent espérer, chacun de leur côté, que le bain de sang provoqué par leur opposition amènera la fin des temps ».

https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2024/10/20/charles-enderlin-journaliste-pendant-des-decennies-les-israeliens-ont-ignore-ce-qui-se-disait-dans-les-mosquees-a-gaza_6356543_6038514.html

(...)

« La religion est l’un des principaux éléments de blocage du processus de paix », écrivez-vous. Quelle est la place du messianisme juif, auquel vous consacrez également de nombreux développements ?

En juin 1967, à l’issue de la guerre des Six-Jours, Israël occupe la vieille ville de Jérusalem, avec en son sein le mont du Temple (l’esplanade des Mosquées, pour les musulmans), le site de l’antique Temple du peuple hébreu. C’est la première fois depuis l’an 70 que des juifs foulent le sol de cet endroit, le seul lieu saint du judaïsme.

Pour les rabbins orthodoxes classiques, il ne faut surtout pas y retourner avant le retour du Messie, à la fin des temps, et seul Dieu décidera du moment. Le gouvernement israélien a interdit aux juifs d’y prier. Israël a également laissé le contrôle de l’esplanade au Waqf de Jérusalem, une fondation islamique contrôlée par la Jordanie.

Mais un mouvement de sionistes religieux, formés notamment des disciples du grand rabbin Abraham Isaac Kook (1865-1935) et de son fils, Zvi Yehouda Kook (1891-1982), vont vivement critiquer cette décision. D’après leur vision théologique, la création de l’Etat d’Israël en 1948 et les conquêtes de 1967 sont des signes divins qui annoncent la venue prochaine du Messie. Selon eux, il est par conséquent autorisé aux juifs de réinvestir le mont du Temple. « Nous ne cherchons pas à provoquer l’arrivée des temps messianiques, ce sont les temps messianiques qui nous poussent [à l’action] », déclaraient des membres de ce mouvement au journal Yediot Aharonot, dès le 17 mai 1968.

Ce courant ne va cesser de prendre de l’ampleur et va acquérir une dimension de plus en plus inquiétante. Dans les années 1980, un réseau terroriste juif envisageait ainsi de faire sauter les mosquées de l’esplanade. Dans leur vision qui justifie la colonisation de la Cisjordanie, la terre d’Israël a été donnée aux juifs par Dieu et les musulmans n’ont pas le droit d’y être. Or, leur voix pèse de plus en plus, et ils agissent systématiquement pour faire échouer tout processus de paix qui comporterait des concessions aux Palestiniens.

Fin 2022, Benyamin Nétanyahou a scellé son alliance avec les plus radicaux d’entre eux, en les faisant entrer au gouvernement. Itamar Ben Gvir, ministre de la sécurité nationale, est par exemple issu d’un courant suprémaciste juif, héritier idéologique du rabbin ultranationaliste Meir Kahane (1932-1990). Dans le cadre de ses fonctions, il est censé veiller au maintien du statu quo sur le mont du Temple. Or, il répète vouloir y rétablir la prière juive et y construire une synagogue. Pour l’heure, Nétanyahou s’y oppose, mais il laisse Itamar Ben Gvir multiplier les provocations [il est notamment allé prier sur l’esplanade, en août].

Comment ces mouvements messianiques ont-ils réagi au 7-Octobre ?

Au-delà de l’effroi et des messages de solidarité, certains y ont vu un signe de l’action divine. Le 12 octobre 2023, sur le site Srougim, le bibliste Yoel Elitzour pointait ainsi le fait que les massacres avaient largement frappé des kibboutz classés à gauche. Il déclarait : « Je n’ai pas été surpris. Le Tout-Puissant n’avait pas d’autre choix ! Que pouvait-il faire, face à l’abandon par des forces en Israël des villes de nos ancêtres, face à ceux qui s’éloignent des valeurs, développent des abominations sexuelles, amènent en Israël des goyim [non-juifs] qui s’infiltrent en nombre ? » Le 3 décembre, Yigal Levinstein, rabbin au sein de la colonie Eli, en Cisjordanie, renchérissait : « Il y a des moments dans l’histoire où le Tout-Puissant décide de produire un tremblement de terre afin que les hommes ne restent pas dans l’erreur. »

John Constantine dans sa dernière incarnation
Simon Spurrier/ Aaron Campbell
 (2020)
Notons aussi que le messianisme est très présent du côté du Hamas. En affirmant se baser sur une analyse du Coran, Ahmed Yassine prophétisait ainsi, en 1999, sur Al-Jazira : « Toute entité fondée sur l’injustice et le pillage est destinée à être détruite. Israël disparaîtra durant le premier quart du XXIe siècle. Pour être précis, je dis que, d’ici à 2027, il n’y aura plus d’Israël. » Au cours des semaines précédant le 7-Octobre, des dirigeants du Hamas ont fait d’autres déclarations dans ce sens. Les deux fondamentalismes, juif et musulman, semblent ainsi espérer, chacun de leur côté, que le bain de sang provoqué par leur opposition amènera la fin des temps. (c'est moi qui mets en gras)

« Le Grand Aveuglement. Israël face à l’islam radical », de Charles Enderlin. Albin Michel, 416 pages, 24,90 euros.




dimanche 27 octobre 2024

hypothétique

« Si, au lieu de croire en un hypothétique Dieu, les hommes avaient cru en eux-mêmes et s’étaient respectés, beaucoup de morts, de larmes et de souffrances leur auraient été épargnées.Je ne crois pas en un Dieu, je crois en l’homme, en son incroyable pulsion de vie qui l’a projeté en si peu de temps si l’on considère les milliards d’existence de la terre, des arbres où il vivait en se nourrissant de baies sauvages jusqu’aux lointaines planètes qu’il explore maintenant régulièrement.
Rien ne lui a été donné. Son combat pour la survie dans une nature hostile et cruelle où la loi de base est « tue pour ne pas être tué » a été âpre et douloureux.
Il faut lui pardonner sa barbarie et toutes ses erreurs. Il fait ce qu’il peut. Il est en devenir. Il s’améliore tout doucement.
On ne voit bien la montagne que lorsqu’on s’en éloigne.
Il faut apprendre le pardon.
Le pardon est notre grandeur, notre humanité, notre altitude, notre dignité, sans lui nous ne sommes que « naturels » et donc cruels. »



dimanche 20 octobre 2024

personnages positifs & stéréotypes négatifs

« - Vous avez l’air juif, m’a-t-elle dit.
- Il paraît. Mais je veux que vous sachiez que je ne le suis pas.
- OK. Votre livre sur Greaves est incroyable.
C’est elle qui était incroyable. Elle était tous les personnages afro-américains positifs qu’on voit à la télé réunis en un seul, des personnages créés pour combattre les stéréotypes noirs négatifs qu’on voit tous les jours aux infos. Elle s’exprimait bien, elle était instruite, athlétique, belle, charmante, extrêmement sophistiquée. Et je me disais que j’avais une chance avec elle. Ça ferait un bien fou à mon amour-propre, ainsi qu’à ma position dans la communauté universitaire. Je lui ai proposé de prendre un café. Non que je la visse comme un accessoire ou une chose à posséder ou une ligne de plus dans mon CV. Bon, tout ça jouait bien sûr, mais je ne voulais pas l’admettre. Je me suis promis de travailler sur ces réflexions désagréables, de les chasser. Je savais qu’elles étaient honteuses. Et je savais qu’elles ne résumaient pas ma pensée. J’allais donc les garder secrètes et me concentrer plutôt sur l’attraction sincère que je ressentais pour cette femme. La nouveauté de son afro-américanité finirait par diminuer, et je savais qu’il n’y aurait plus qu’un pur amour pour elle, une femme de n’importe quelle couleur, d’aucune couleur : une femme claire. Même si je comprenais que mes sentiments à l’égard des femmes n’étaient pas purs en général. Le charme était un facteur déterminant, ce qui est mal. Et bien sûr les caractéristiques exotiques raciales, culturelles ou nationales m’attiraient. Je serais aussi excité d’exhiber une petite amie cambodgienne ou maorie ou française ou islandaise ou mexicaine ou inuit qu’une petite amie afro-américaine. Presque. C’était là quelque chose que je devais m’efforcer de mieux comprendre à mon sujet. Je devais combattre mes instincts à chaque instant. »

Charlie Kaufman - Antkind (2022)