samedi 9 mars 2024

masochisme moderne

" Dans son étude sur la forme que revêt le masochisme chez l’homme moderne, Thedor Reik avance une vue intéressante. Le masochisme est plus répandu que nous ne l’imaginons car il prend une forme atténuée. La dynamique de base est la suivante: le sujet perçoit quelque chose de mauvais dont la venue est inévitable. Il ne peut rien faire afin d’interrompre le processus; il est réduit à l’impuissance. Le sentiment de son impuissance engendre chez lui le besoin d’exercer quelque contrôle sur cette souffrance imminente - n’importe quelle forme de contrôle fera l’affaire. C’est logique: le sentiment subjectif de sa propre impuissance est plus douloureux que la souffrance à venir. Aussi le sujet a-t-il recours, pour se rendre maître de la situation, à la seule voie qui lui reste ouverte: il concourt à hâter la venue de ce malheur prochain. Cette activité encourage chez lui l’impression erronée qu’il aime la souffrance. Il n’en est rien. La vérité est simplement qu’il ne peut plus supporter sa propre impuissance, ou son impuissance supposée. Mais le mécanisme par lequel il acquiert la maîtrise de cette souffrance de toute façon inévitable l’amène automatiquement à devenir anhédoniste (c’est-à-dire à ne plus pouvoir ou à ne plus vouloir éprouver le plaisir). L’anhédonie s’installe sournoisement et en vient, au fil des années, à dominer le sujet. Ainsi apprend-il, par exemple, à différer la gratification - c’est là une étape du triste processus de l’anhédonie. En apprenant à retarder la gratification, il éprouve un sentiment de maîtrise de soi; il est devenu stoïque, discipliné; il ne cède pas à la pulsion. Il possède la maîtrise. Maîtrise de soi quant à ses pulsions, maîtrise de la situation extérieure. Il est un sujet qui se maîtrise et qui maîtrise. Bientôt, il a étendu le processus et exerce sa maîtrise sur d’autres sujets, car cela fait partie de sa situation. Il devient un manipulateur. Naturellement, il n’est pas conscient de la chose; il ne s’agit pour lui que d’atténuer le sentiment de son impuissance. Mais la tâche qu’il s’est ainsi fixée le conduit à asservir insidieusement la liberté d’autrui. Pourtant il n’en retire aucun plaisir, aucun gain positif sur le plan psychologique; tous ses gains à lui sont fondamentalement négatifs. "

rapporté par Philip K. Dick dans Siva (Trad. Robert Louit)

mercredi 11 octobre 2023

Lasagnes psychologiques

Nous sommes des lasagnes psychologiques : trois types d’identités (intérieure, familiale, sociétale). Je possède donc à la fois le passé de mes ancêtres, mais je suis également victime de mon temps. Au-delà de l’aspect psychologique personnel, de la transmission des fautes des parents à leurs enfants et du besoin de résilience des enfants aux besoins, souffrances et manques de leurs parents, chaque génération est traversée par l’histoire de son « pays » : pas seulement les batailles, mais également les mouvements sociaux, les évolutions, et principalement celles de la famille dont le concept est fondamentalement remis en question lors du XXe siècle. Je suis persuadé que nous ne pouvons donc observer ou analyser notre époque qu’à travers notre prisme personnel et actuel. Le regard que nous portons sur l’Histoire demeure donc multi-couches. Même si des historiens tentent d’en donner une version définitive, il est important de garder à l’esprit que rien n’est simple.

Bernard Hislaire, dit Yslaire // Interview donnée à actuabd

https://www.actuabd.com/Yslaire-la-bouleversante-suite-de-Sambre

dimanche 3 septembre 2023

« Les femmes thaïes ont-elles quelque chose qui les pousse plus facilement à pratiquer ce métier ? »
Rires.
« Bon, les farangs, en particulier, disent que nous sommes belles et que nous n'avons pas les mêmes blocages que beaucoup d'Occidentales. Dans les pays occidentaux, on essaie de transformer l'acte sexuel en expérience religieuse, alors que pour nous ce n'est guère plus que gratter une démangeaison. Je crains que nous ne soyons pas aussi romantiques que nous le paraissons. Et peut-être sommes-nous un peu à part. Dans d'autres pays, comme le Japon ou la Corée du Sud, la prostitution a régressé de manière spectaculaire au fur et à mesure que la situation économique s'améliorait. Chez nous, quand la situation économique s'améliore, le nombre de prostituées a tendance à augmenter plutôt qu'à diminuer. »

John Burdett. « Bangkok 8. »

(En Thaïlande, farang (en thaï: ฝรั่ง), parfois prononcé falang, est un mot thaï et lao utilisé pour désigner les étrangers blancs.)


samedi 5 août 2023

Extinction démographique

« L’extinction démographique. Je n’arrive pas à croire que personne n’y ait pensé. Il n’y a pas assez d’enfants, et on attend encore la décélération des maladies dégénératives et des cancers. Ne parlons pas des catastrophes naturelles, qui pourraient finir de miner l’auditoire. Attendez ! Il ne suffisait pas d’arrêter d’engloutir dix kilos de perturbateurs endocriniens par an pour expurger nos organismes de tous les miasmes industriels ! Franchement, parfois je jurerais que les humains ne grandissent jamais. Ils téteront le mamelon sucré du déni jusqu’à ce que leurs cheveux soient tout blancs. Ils ont la mémoire courte. Moi, j’ai toujours été jalouse de la facilité avec laquelle nos ancêtres accédaient à l’information. Profuse, contradictoire, assourdissante, merveilleuse information ! Il suffisait de se pencher pour cueillir de la data. Nous savions tout. Nous avons lu les étiquettes et les journaux, nous avons surfé des années durant. Et pourtant, cela ne nous a pas empêchés de manger, de boire, d’acheter, de voter et d’inventer les podcasts. Ce n’est pas la première fois que je le dis et certainement pas la dernière, mais nous avons bien mérité de nous éteindre. »

Marguerite Imbert « Les flibustiers de la mer chimique. » Albin Michel.

dimanche 4 juin 2023

je ne dois pas me presser de rentrer

"Je me suis répété cette phrase, deux ou trois fois : je ne dois pas me presser de rentrer.
Pourquoi la femme chez qui je vivais m'avait-elle dit cela ? Que signifie-t-on ainsi à la personne qui habite chez soi ? Peut-être devrais-je la prendre au mot me suis-je dit, à l'aéroport de Lima, embarquer pour Rio, et de là à Kinshasa puis Bangkok. Sans doute serait-ce assez peu me presser de rentrer, mais si la femme chez qui je vivais me le demandait, après tout, pourquoi pas ? J'ai pensé que je pourrais poursuivre mon périple comme je l'avais commencé : j'irais de terrasse en terrasse et de bar en bar, m'assiérais face aux paysages, devant le Corcovado, sur les berges du Congo et au bord des klongs devant- une assiette de curry massaman, et partout je laisserai le temps passer en buvant du vin blanc capiteux et tous les rhums et tous les alcools du monde, zigzagant de Cancer en Capricorne, rebondissant sur les 23° parallèles comme la boule sur le caoutchouc du flipper, et à force de tourner et de retourner peu à peu la mémoire s’éroderait, j'oublierais peut-être le chemin le plus rapide pour rentrer, peut-être même oublierais-je l'enfant et l'enfant m'oublierait-il lui aussi, si ce n’était déjà fait, peut-être même en me cognant la tête sur les 23° parallèles oublierais-je aussi son nom à elle, qui disparaîtrait d'un coup, boum, elle ne serait plus que la femme chez qui je vivais. Alors, je poursuivrais ma course périmétrique et pour subsister, je pourrais me charger de quelques documents à remettre en mains propres d'un hémisphère à l'autre, ainsi de proche en proche je creuserais mon sillon dans l'espace intertropical en tournant et retournant encore autour du globe, creusant toujours plus profond à travers la croûte terrestre puis le manteau supérieur, jusqu'à me dissoudre dans le magma du manteau inférieur et dans l’oubli, moi aussi."

"Un corps tropical" de Philippe Marczewski

jeudi 25 mai 2023

Ajahn Chah

 







Ajahn Chah. « Tout apparaît, tout disparaît : Enseignements sur l'impermanence et la fin de la souffrance.»

lundi 22 mai 2023

Incertain

"« Le plaisir est incertain, le malheur est incertain, l’amour est incertain, la tranquillité est incertaine, l’agitation est incertaine. Tout, absolument tout, est incertain. Donc, quoi qu’il arrive, si nous comprenons cela, nous ne sommes piégés par rien. »

Ajahn Chah. « Tout apparaît, tout disparaît : Enseignements sur l'impermanence et la fin de la souffrance.»