C’était la nature, l’univers, Dieu qui passaient à travers nous. C’est là que je suis tombé amoureux de mon fils, que j’ai compris à quel point j’étais insignifiant, et à quel point il était merveilleux, et qu’un jour il ressentirait exactement la même chose. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris que je n’avais pas trahi mon père. J’ai encore pleuré, en tenant mon garçon, parce que j’étais enfin devenu un homme. Ce que je veux dire par là… Si je te raconte tout ça, c’est que ma vie avait un sens, avant. Elle avait un but. Maintenant, elle n’en a plus aucun. J’étais un fils, un mari, un père et un soldat, et aujourd’hui je ne suis plus rien de tout ça. Je ne suis pas un homme, et quand un homme n’est pas un homme, il n’est personne. Et la seule manière de ne pas être personne, c’est de faire quelque chose. Donc soit je me tue, soit je tue quelqu’un d’autre. Tu vois ?
jeudi 20 juin 2024
Orteils miniatures
C’était la nature, l’univers, Dieu qui passaient à travers nous. C’est là que je suis tombé amoureux de mon fils, que j’ai compris à quel point j’étais insignifiant, et à quel point il était merveilleux, et qu’un jour il ressentirait exactement la même chose. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris que je n’avais pas trahi mon père. J’ai encore pleuré, en tenant mon garçon, parce que j’étais enfin devenu un homme. Ce que je veux dire par là… Si je te raconte tout ça, c’est que ma vie avait un sens, avant. Elle avait un but. Maintenant, elle n’en a plus aucun. J’étais un fils, un mari, un père et un soldat, et aujourd’hui je ne suis plus rien de tout ça. Je ne suis pas un homme, et quand un homme n’est pas un homme, il n’est personne. Et la seule manière de ne pas être personne, c’est de faire quelque chose. Donc soit je me tue, soit je tue quelqu’un d’autre. Tu vois ?
dimanche 2 juin 2024
Qu'elle était siliconée ma vallée
« Les GAFAM n’ont pas tué les liens, ne les ont pas tranchés au couteau ou à la hache. C’est bien pire, plus efficace et plus subtil que ça, et surtout, ça n’a pas été explicitement conçu ni voulu comme ça. Ça sonne plutôt comme le dégât collatéral d’une guerre qui n’a même pas eu lieu. Ils ont dévitalisé ces liens. Ils les ont édulcorés et neutralisés. Ils nous ont donné le moyen quotidien, par leurs applications, de devenir de parfaits in/dividus autosatisfaits, ou crus tels, se voulant tels – c’est-à-dire des êtres humains qui ne se divisent plus. Qui ne se partagent pas avec d’autres, n’offrent pas un seul morceau de ce qu’ils sont à des pairs qui en auraient besoin.
Ou, quand ils le font, ils le font à distance respectable, à distanciation sociale tolérée, sans s’engager, sans se mettre, d’aucune manière, en danger. Sans donner prise. Cette sécurité mentale et physique, elle était en latence, sans doute, dans les pulsions vitales protectrices de l’humain, elle couvait, larvaire, dans l’ombre ou l’envers du désir de rencontre et de confrontation qui nous a aussi construit dans l’évolution, et qu’on activait parce que cette entraide était probablement la meilleure façon de survivre.
Aujourd’hui, passé un certain seuil de sécurisation des égos, cette confrontation n’a plus besoin d’avoir lieu. Le réflexe immunitaire verglace la pente humanitaire. On n’arrive plus à grimper vers l’autre. Plutôt que s’exposer, on se juxtapose, en interposant l’interface entre nous et eux. Les GAFAM n’ont pas tué les liens : ils les ont absentés.
Nous ne vivons plus ici ou ici, nous créchons dans le non-lieu de la communication et des messages, nous flottons dans l’irradiation nébuleuse des plateformes qui plagient le vécu, ou le fanent en le numérisant aussitôt éclos. Instagram est un buvard qui boit l’intensité fuyante de nos moments prétendument riches. Court cette impression que les instants vraiment uniques de nos vies ne valent que pour la vidéo qui nous les fera revivre par après. Les gamers diraient : pour leur replay value. »
Alain Damasio. « Vallée du silicium. »